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La récente fronde des étudiants français 
en économie prend de plus en plus d’ampleur. Les élèves se 
mobilisent contre un enseignement d’une science économique beaucoup trop 
mathématisée et surtout déconnectée de la réalité. 
La science économique moderne a pris un tournant dangereux. Mais qu’en 
était-il au XIXème siècle, à l’âge d’or des 
classiques et des marxistes ? Leurs analyses coïncident-elles avec les faits 
historiques ? Leurs études sur l’évolution de l’économie 
et du système capitalistes sont-elles avérées par l’histoire 
?
Quel crédit accorder aux théories classiques et marxistes ? Quelles 
influence ont exercé les économistes de l’époque sur un capitalisme 
en pleine mutation ? Leurs études étaient-elles uniquement théoriques, 
ou bien appuyées sur des faits ? Les précisions qu’ils ont pu faire 
se sont-elles réalisées ? D’une manière plus générale, 
la question de la nature de l’étude économique se pose : économie 
politique ou science économique formelle et mathématisée 
? 
Il conviendra donc d’établir dans une première partie la fréquente 
clairvoyance des classiques et aussi leur influence sur le développement 
de l’économie du XIXème siècle. Il sera montré dans 
une seconde partie que les théories classiques et marxistes ne résistent 
pas toujours à la vérification empirique par l’histoire.  
 
  La Révolution industrielle, que les classiques ont connue, a été 
  une période de fortes mutations, et notamment dans la structure sociale.
  Un des faits marquants, révolutionnaires, pour beaucoup d’économistes 
  de l’époque, est l’apparition d’un prolétariat. Son développement 
  et sa constitution ont été bien étudiés par les 
  classiques. Marx et Sismondi ont bien analysé ce phénomène 
  de paupérisation. Marx particulièrement a théorisé 
  le développement de cette classe et son opposition à la bourgesoisie 
  capitaliste par le processus de la lutte des classes. L’analyse marxiste est 
  avérée par l’histoire du mouvement ouvrier au XIXème siècle. 
  Le nombre croissant des prolétaires, leur antagonisme de plus en plus 
  fort avec la bourgeoisie a confirmé l’analyse marxiste.
  A l’origine de ce prolétariat se trouvent le système usinier et 
  l’urbanisation. Smith avait décelé l’importance de la division 
  du travail dans la dynamique du capitalisme. La division du travail, Smith l’avait 
  vu, était nécessaire pour améliorer la productivité. 
  L’évolution historique montre donc la véracité de l’analyse 
  de Smith.
  Cette paupérisation croissante a suscité chez certains auteurs 
  une prise de conscience de la misère populaire. Stuart Mill et Sismondi, 
  tout en restant des libéraux, n’ont pas caché leurs sympathies 
  pour le développement d’une législation sociale. Sismondi, dans 
  ses Nouveaux Principes d’économie politique se déclarait 
  favorable à une justice redistributive, à un embryon d’Etat-Providence. 
  L’apparition puis le développement d’une législation sociale donnent 
  raison à ces classiques un peu hétérodoxes.
 Les classiques et les marxistes ont donc globalement compris 
  les mutations sociales qui s’opéraient. Leurs analyses du mécanisme 
  des crises du capitalisme montrent leur compréhension plutôt bonne 
  du système capitaliste [Say s’est pourtant lourdement trompé, 
  et seuls Malthus et Marx contestent sa théorie de l’impossibilité 
  des crises de surproduction]. L’analyse de Malthus des crises est intéressante. 
  Il décèle une sous-consommation des riches. Pour pallier cette 
  insuffisance, il préconise le développement des classes moyennes, 
  qui, n’étant pas assez riches pour épargner, consommeraient beaucoup 
  et absorberaient ainsi les volumes de production trop importants sans cela. 
  L’histoire du XIXème siècle lui donne raison. Parallèlement 
  au développement du prolétariat apparaît une classe intermédiaire 
  entre le prolétariat et la haute-bourgeoisie. Par sa consommation, cette 
  classe va exercer une forte pression sur l’offre. Malthus avait donc vu juste.
  La première partie de l’analyse des crises de Marx est également 
  vraie : selon lui, chaque crise du capitalisme entraînait davantage de 
  concentration industrielle et donc davantage de misère. L’évolution 
  historique montre en effet un passage du capitalisme concurrentiel de petites 
  entreprises au début du XIXème siècle à un capitalisme 
  de grands groupes à la fin du siècle. Les hypothèses de 
  Marx sont donc avérées par l’histoire.
 Les classiques et Marx ont donc souvent fait des analyses vérifiées 
  par l’histoire. En raison de cette véracité notamment, ils ont 
  exercé une forte influence sur les mentalités économiques. 
  L’engagement de Ricardo pour le libre-échange est symptomatique d’une 
  époque où l’étude économique conduisait naturellement 
  à l’action politique. Selon la théorie du commerce international 
  et sa loi de la rente différentielle, Ricardo est un farouche partisan 
  du libre-échange. Il militait donc avec Richard Cobden pour l’abolition 
  des Corn Laws, barrières douanières qui empêchaient 
  le blé continental d’entrer en Angleterre. Décédé 
  prématurément, son œuvre militante sera poursuivie et achevée 
  en 1846 par Cobden. Voici donc une décision politique importante (abolir 
  les barrières protectionnistes) à l’origine de laquelle on trouve 
  un économiste classique, même si la pratique commerciale des Etats-nations 
  était très peu libérale (néo-protectionnisme, impérialisme, 
  "libre"-échange imposé, …). Leur influence sur 
  l’évolution du capitalisme a donc pu être grande.
  Marx a aussi exercé une grande influence sur la société 
  de l’époque, en raison de la prolétarisation de la société. 
  Il est à l’origine de très nombreux courants de pensée 
  qui ont marqué les sociétés occidentales jusqu’à 
  aujourd’hui. Le développement d’une conscience de classe, d’un mouvement 
  ouvrier trouvent leurs origines (pas seulement) dans Marx.
  L’influence, la pertinence des classiques et des marxistes a donc été 
  relativement importante. Globalement, les schémas classiques ont été 
  avérées par l’histoire et ont montré une clairvoyance (plus 
  ou moins grande) dans la compréhension d’une économie en profond 
  bouleversement. Mais les classiques et les marxistes ont également créé 
  des schémas improductifs, des théories qui n’ont pas été 
  vérifiées par les faits.
  La sous-estimation du progrès technique est récurrente chez les 
  classiques. Malthus comme Ricardo (Ricardo toutefois moins que Malthus) négligent 
  l’apport des machines et du machinisme.
  Ricardo était pessimiste pour l’avenir du capitalisme ? Il craignait 
  l’état stationnaire, période du capitalisme où la croissance 
  serait nulle. Dans cette théorie, les industriels étaient lésés 
  par rapport aux propriétaires fonciers, qui accumuleraient la rente au 
  détriment du profit. Ricardo n’envisageait que deux solutions non pas 
  pour éviter l’état stationnaire, mais pour retarder son avènement 
  : le libre-échange et le progrès technique. S’il a tout misé 
  sur le premier en militant pour l’abolition des Corn Laws, c’est surtout 
  parce qu’il a sous-estimé l’apport du second. Se basant sur la loi des 
  rendements décroissants et partageant le même pessimisme que Malthus, 
  il n’envisageait pas de forte croissance de la productivité, ce en quoi 
  il s’est trompé lourdement.
  Si Ricardo s’est trompé, c’est en partie à cause de Malthus, auquel 
  il emprunte des théories. Malthus, dans son Essai sur le principe 
  de la population (1798), insiste sur la croissance trop rapide de la 
  population face à celle des ressources. Il n’envisageait pas à 
  sa juste valeur le rôle du progrès technique dans l’agriculture. 
  Or un des faits marquants de la Révolution industrielle est la progression 
  extraordinaire des techniques. L’économie et le système capitalistes 
  ont été changés à jamais grâce au progrès 
  technique. Les analyses de Malthus et de Ricardo sont donc erronées en 
  partie car elles minorent beaucoup trop l’importance du progrès technique. 
  Quant à la prévision historique de l’état stationnaire, 
  force est de reconnaître que l’évolution économique du XIXème 
  siècle y a échappé.
 C’est dans ce domaine de la prévision/prédiction 
  historique que l’on peut noter le plus grand échec d’une théorie 
  économique : le marxisme . Marx analysait les crises comme autant d’étapes 
  successives vers une concentration totale des entreprises, qui serait l’ultime 
  marche avant la dictature du prolétariat, nécessaire pour conduire 
  au communisme. Marx voyait dans le communisme le stade ultime, nécessaire 
  et logique du capitalisme. Malgré sa théorie scientifique qu’il 
  opposait aux socialismes vulgaires ou utopiques, Marx s’est trompé, tout 
  au moins pour le XIXème siècle. Le capitalisme n’a pas abouti 
  au communisme.
  En effet, le capitalisme a su évoluer face à ce danger (et même 
  peut-être " grâce à ce danger ", selon la thèse 
  de Hobsbawm) que constitue le communisme pour lui. En adoptant peu à 
  peu une législation sociale notamment, le capitalisme a tenté 
  et réussi d’éviter le communisme. Les progrès de la condition 
  ouvrière, si faibles soient-ils, ont tout de même permis au capitalisme 
  de continuer à exister. L’évolution du système capitaliste 
  s’oppose donc aux théories marxistes.
  Les Classiques (comme Say, Ricardo), ainsi que Marx, ont donc fait quelques 
  analyses qui n’ont pas été confirmées par l’histoire du 
  XIXème siècle. Ces analyses restées théoriques sont 
  situées principalement dans le champ des prédictions de l’évolution 
  générale du capitalisme. Les Classiques avaient donc globalement 
  une vision plutôt juste de la réalité de l’époque. 
  Ils avaient en tout cas en tête de toujours mêler théorie 
  et application politique.
  Les Classiques étaient en tout état de cause plus proches de la 
  réalité historique que ne le sont leurs " successeurs ", 
  les néo-classiques. Enfermant l’économie dans des formalisations 
  mathématiques très ardues, supposant des hypothèses tellement 
  fortes qu’elles rendent leurs modèles totalement irréalistes et 
  inutilisables.
  C’est pour cela qu’aujourd’hui de plus en plus de voix se font entendre pour 
  réclamer le retour à l’économie politique, qui avait comme 
  qualité de mêler science économique et faits historiques.