La Nature a-t-elle des droits ?

Bonnes Copies

Bonne copie du lycée : 75 - Paris - Intégrale - Initiale

Cette copie a été notée : 14 / 20

Commentaire du professeur : Travail sérieux et réflexion pertinente, devoir des plus intéressants.


Untitled Document Le droit, c’est ce qui est conforme à une règle précise ou ce qui est permis. Si on l’oppose au fait, le droit est ce qui est légitime par opposition au réel qui peut ne pas l’être. Le droit constitue l’instance extérieure qui garantit que les hommes peuvent développer leurs relations dans un cadre donné. La notion de droit fait en effet intervenir les notions de loi et de justice, propre aux hommes.
La nature, a-t-elle des droits ?
Le problème est posé par Luc Ferry : " Il s’agit de savoir si l’homme est le seul sujet de droit, ou au contraire ce qu’on nomme aujourd’hui la "biosphère" ou l’ "écosphère", et qu’on nommait autrefois le cosmos. ".(Le nouvel ordre écologique)
Nous analyserons ainsi tout d’abord dans une première partie en quoi le droit semble réservé aux hommes et exclure la nature, puis nous verrons dans une seconde partie dans quelles mesures la nature est dépositaire de droits.



La naissance du droit correspond au moment où les hommes ont adopté des règles pour vivre en bonne intelligence en communauté et garantir leur sécurité collective. Cet instant, Rousseau le conçoit comme la sortie d’un état de nature où les hommes pour se protéger des aléas d’une nature hostile ont fini par se regrouper, par communiquer, et par suite, après la création de la propriété privée, à établir un état de droit : " Unissons nous, leur dit-il " (Discours sur l’Origine des inégalités parmi les Hommes). Le concept de droit est ainsi complètement artificiel et a été mis en œuvre notamment pour protéger l’Homme de la nature. Dans cette optique, il est clair que si la nature est à l’origine de la création de la notion même du droit, elle n’en a aucun.
En analysant les écrits de Hobbes, on peut même constater un contraste saisissant entre l’homme à l’état de nature résumé par la formule : "l’homme est un loup pour l’homme" et l’homme civilisé, où le fait d’être civilisé tient justement à être bénéficiaire de droits mis en place
Dans les principales religions monothéistes, la place de l’homme par rapport à la nature suit un schéma de dominant/dominé. Nous lisons dans la Genèse : " Dieu dit " Faisons l’homme à notre image, comme notre ressemblance, et qu’il domine sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toutes les bêtes sauvages et toutes les bestioles qui rampent sur la Terre. " ", et plus loin : " Dieu les bénit et leur dit : " soyez féconds, multipliez-vous, emplissez la Terre et soumettez-la ". Le mythe du jardin d’Eden, de la nature accueillante et nourricière, comme un objet de consommation inépuisable est aussi présent chez les Grecs qui imaginaient un âge semblable du temps du dieu Cronos.
Dès sa création, la nature est propriété de l’homme qui a tout pouvoir sur elle, et celui-ci en est pleinement conscient : " Ils en viennent à considérer toutes les choses existant dans la nature comme des moyens à leur usage " (Spinoza, Ethique I appendice). Ainsi la nature est pour Spinoza un outil confié par Dieu aux hommes.
L’homme domine la nature par la particularité d’être " perfectible " (Sartre) et par sa faculté de communication, contrairement aux animaux qui ne survivent que grâce à leur instinct. La thèse de Descartes sur l’inexistence du langage chez les animaux est liée à la thèse de l’animal machine. Les animaux sont des automates, dépourvus d’âme et de raison, alors que penser des végétaux et des minéraux ! La nature ne semble pas à même de faire valoir ses droits, si elle en a.
On dit quelquefois que c’est la force qui fonde le droit. Mais cette formule est ambiguë. Rousseau a fort bien dit que si l’on est tenu d’obéir au plus fort, c’est par nécessité physique et non par obligation morale. La force établit un état de fait, mais le droit est précisément autre chose que le fait. C’est en fait et non en droit qu’il faut obéir au plus fort et que sa raison est toujours la meilleure. " Le droit est de consentement " (Alain) et cela signifie que seul un libre accord, c’est à dire un contrat, définit le droit. On peut même se demander s’il est vraiment possible de mettre la force au service du droit car dès que la force intervient, il n’y a plus de consentement libre, et par suite plus de contrat légitime. Si l’homme est en mesure d’user de sa force contre la nature, on sait que la nature peut en faire de même contre lui, mais où se situerait ce ’contrat’ ?
L’existence de droits nécessite le pouvoir de les faire valoir, et ainsi le pouvoir de communiquer, ce qui semble à première vue manquer à la nature.
Mais si des hommes eux-mêmes pouvaient faire valoir des droits à la nature, si des hommes prenaient la parole à sa place pour la défendre ?


Les mauvais côtés du progrès technique amènent l’homme à reconsidérer la nature et à la comparer en une mère nourricière : " Peuples, sachez donc une fois que la Nature a voulu vous préserver de la Science, comme une mère arrache une arme dangereuse des mains de son enfant … " ( Rousseau, Discours sur les Sciences et les Arts ).
La Nature est-elle véritablement absence de règles, inorganisation et indifférenciation ? Ce n’est nullement sûr. Il est tout à fait possible de constater une organisation et un ordre dans les espèces animales. Le monde naturel et animal ne se ramène nullement à un élan individuel incontrôlé, et pas davantage à la sourde violence des besoins. Il est déjà organisé. " Si, par hasard, il nous arrivait d’oublier ou de perdre nos règles sociales, nous ne tomberions pas dans une situation d’anomie ou de non-société : nous retrouverions autour de nous, chez les autres animaux, un capital de normes, le modèle de différents ordres sociaux. " (S. Moscovici, La société contre nature).
Les droits de la nature peuvent également être considérés par différentes religions, primitives tout d’abord où les dieux ou le dieu sont une partie intégrante de la nature, ou encore certaines créatures revêtent un caractère sacré ; parfois, la nature même est adorée comme un dieu. La place de certains animaux dans certaines religions revêt encore de nos jours un aspect sacré (exemple des vaches sacrées en Inde). Même en occident, notamment au Moyen-Âge sous l’égide du christianisme, la nature en tant que don de Dieu est déjà personnifiée. Ainsi Saint François d’Assise (1182-1226) n’hésitait pas à personnifier très sérieusement la nature pour en rendre grâce à Dieu : Dame nature, frère soleil, frère âne… Luc Ferry nous rapporte notamment le déroulement de procès très équitables du Moyen Âge où déjà un être de la nature connaît la même place juridique que l’homme. On se rend ainsi compte que la personnification de la nature n’est plus le fait seul des poètes mais est une anecdote continue de l’histoire de l’humanité.
La notion de droit s’appliquant à la nature fait logiquement intervenir la notion de justice. La justice est en effet la norme idéale qui définit le droit ou son principe même. Mais qu’exprime-t-elle exactement ? Essentiellement une certaine égalité. Ainsi, chez Platon, l’idée de justice est celle de l’harmonie, Aristote à sa suite introduit déjà une certaine notion de l’égalité. Il est flagrant de constater que le souci de préservation de la nature suit la révolution du sujet dans l’histoire de l’humanité pour atteindre un aspect encore inégalé et peut-être jamais aussi nécessaire dans l’histoire de l’humanité
Les Sociologues de même nient le droit naturel : " Chacun a des devoirs et envers tous ", disait Comte, " mais personne n’a aucun droit proprement dit ". Dans l’homme " tel qu’il se présente à l’analyse empirique ", remarque Durkheim, on ne trouve rien qui lui confère des droits ; " cette espèce d’auréole de sainteté qui entoure l’homme et qui le protège contre les empiètements sacrilèges, l’homme ne la possède pas naturellement ". C’est donc la société seule qui peut donner des droits à l’homme. " Les mœurs ne s’opposent pas au droit mais au contraire en sont la base ", car les droits que la société confère à l’homme sont ceux qui répondent aux exigences de la vie sociale. Ce qui fait mon droit, c’est le devoir du voisin. Le fondement du droit se trouve finalement dans l’utilité sociale ; pas plus que pour Hobbes, l’individu ne peut, pour les sociologues, revendiquer son droit contre la société à laquelle il appartient. Ainsi, si la nature a des droits, c’est uniquement par le fait de l’homme qui prend conscience qu’il fait partie intégrante de la nature, et que sa survie dépend de la bonne santé de celle-ci. L’homme domine maintenant la nature. Il s’agit là d’un fait relativement récent, qui remonte pour Howells à environ 4 000 ans. Actuellement, avec les progrès des techniques, l’homme peut agir sur le milieu, le recréer comme il le souhaite, voire le forger de toutes pièces. Cependant, ce milieu transformé exerce en retour une influence sur lui, sans qu’il en ait toujours clairement conscience.
Le concept de droits pour la nature prend toute sa valeur et toute son importance de nos jours après toutes les conséquences des techniques humaines sur l’environnement depuis la Révolution Industrielle. Des catastrophes aussi gigantesques que des marées noires, des retombées radio-actives, le trou de la couche d’ozone, l’effet de serre et toute la pollution en général ne laissent pas l’homme indifférent de son environnement. La révolution progressive du sujet, surtout en occident, conduit logiquement à une évolution en faveur de la nature : après l’interdiction de l’esclavage, le bannissement de la ségrégation raciale, après la parité, l’homme évolue et se consacre davantage aux ’droits’ de la nature, comme en témoignent maintenant la place croissante de l’écologie en politique, et même des grandes réunions internationales traitant de la qualité de l’eau, de la réduction des gaz à effet de serre, de la protection de certains animaux.


Depuis la première définition de Haeckel en 1866 : " Nous entendons par ’écologie’ la science globale des relations des organismes avec leur monde extérieur environnant dans lequel nous incluons, au sens large, toutes les conditions d’existence. ", si elle n’est pas toujours reconnue comme une science, l’écologie a néanmoins fait prendre conscience aux hommes des droits de la nature. Tout est en effet affaire de culture scientifique, politique ou religieuse pour faire prendre conscience à l’homme des droits de la nature. L’homme faisant partie intégrante de celle-ci, la négliger, c’est se négliger ; en effet "nous n’héritons pas la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants." (Antoine de Saint-Exupéry)