Peut-on faire de sa vie un chef-d’oeuvre?

Bonnes Copies

Bonne Copie du lycée Blaise Pascal de Clermont ferrand. Cette copie a été notée 15/20. Le commentaire du professeur est : Dissertation très réussie et encourageante. Bonne méthodologie et bonne capacité de reflexion, d’utilisation de références culturelles.

Bonne copie du lycée : 63 - Clermont-Ferrand - XXXX

Cette copie a été notée : 15 / 20

Commentaire du professeur : Dissertation très réussie et encourageante. Bonne méthodologie et bonne capacité de reflexion, d’utilisation de références culturelles.


Untitled Document Les petits garçons rêvent de devenir, une fois adultes, pompiers, astronautes ou papes… et leurs aînés voudraient eux une vie semblable à Ghandi, jean Moulin ou mère Thérésa. Effectivement, il semble que la volonté de faire de sa vie une expérience exceptionnelle, quelque chose de beau, de grand soit interne à chaque esprit humain ? Mais puisque des malheureux exemples suffisent à nous prouver que l’on peut " rater " sa vie, comme Antigone, dans l’œuvre de Jean Anouilh, qui décide de mourir pour ses convictions et qui au dernier moment s’aperçoit de son erreur (" Je ne sais plus pourquoi je meurs "), l’on peut se demander si l’on peut véritablement diriger sa vie comme il nous semble, et si nous pouvons, a fortiori, faire de notre vie un chef-d’œuvre. Sommes-nous les maîtres de nos existences ? Qu’est-ce qu’un chef-d’œuvre ? Et finalement : peut-on faire de sa vie un chef-d’œuvre ?

A l’image de nos choix d’orientation scolaires, nous croyons que nos seuls actes déterminent notre avenir, comme nous croyons que nos seules notes scolaires décident de notre avenir, mais ne serait-ce pas là qu’une illusion ? Et si nos vies étaient déjà écrites, déterminées ? Cette philosophie était celle de la Grèce Antique, symbolisée par la Pythie de Delphes qui pouvait lire l’avenir et qui a notamment révélé le tragique destin d’Œdipe : tuer son père et épouser sa mère, ce qui s’est réalisé malgré toutes les volontés contraires à cet accomplissement. Cette philosophie est totalement incompatible avec la thèse affirmant que nous sommes maîtres de nos vies, et que par conséquent, nous pouvons en disposer comme nous le désirons. Par ailleurs, cette négation de la maîtrise humaine de nos vies est aussi exprimée par d’autres philosophies, par d’autres auteurs. Freud considère que la partie consciente, raisonnable de l’homme est en réalité très inférieure à sa partie inconsciente, son subconscient, qu’il compare à la partie immergée d’un iceberg. En d’autres termes, nous ne nous connaissons pas puisque nous ignorons tout ou presque de notre inconscient. Cette théorie aboutit à la même conclusion : nous ne sommes pas capables de diriger nos vies comme nous le souhaitons puisque nous ne connaissons pas tous nos désirs… Cependant, même si nous ne sommes pas totalement maîtres de nos vies, si nous ne contrôlons pas tous les événements extérieurs qui peuvent se produire, nous avons au moins l’illusion de la maîtriser, et comment ne pas tomber dans la folie si nous acceptons la théorie selon laquelle l’homme subit sa vie, son destin, sans ne rien décider lui-même ? La vie n’aurait aucun intérêt d’être vécue, aucun sens, si ce n’est respecter ce qui a été précédemment établi : la vie serait absurde. Voyons désormais si les arguments en faveur de la maîtrise de nos vies nous permettent de dépasser ces difficultés.

Si certains penseurs croient que l’on subit passivement sa vie, d’autres au contraire croient que l’homme dirige sa vie comme il lui semble, et que, par conséquent, il en est responsable. En d’autres termes : l’homme à sa naissance n’est rien, il doit se forger sa personnalité, son essence propre pour devenir ce qu’il sera une fois adulte. Cette philosophie, rendue célèbre par Jean Paul Sartre, se résume dans la citation suivante : " L’existence précède l’essence ", ce qui signifie que l’essence, que l’être même de l’homme se forge, qu’il n’apparaît pas simultanément avec la naissance de cet être. Cette théorie implique donc que nous sommes les maîtres de nos vies, et que nous pouvons, si nous le souhaitons, faire de notre vie un chef-d’œuvre, puisque nous sommes ce que nous voulons être : " Je ne suis rien d’autre que ce que je me fais à travers de mes choix. ". Et effectivement, la révolution française de 1789 illustre par exemple cette théorie : elle symbolise le bouleversement politique, social… voulu par les hommes. Il semblerait stupide d’affirmer que refuser le destin qui leur était offert était justement le destin des hommes qui ont participé à la révolution. S’ils ont refusé le système en vigueur pour en établir un meilleur, c’est donc qu’ils ont su se rendre maîtres de leur vie.
Finalement, il apparaît difficile d’affirmer catégoriquement que nous sommes maîtres ou non de nos existences puisqu’il paraît difficile de contester que nous sommes influencés, conditionnés par notre éducation, notre patrimoine génétique, notre inconscient…et que nous sommes impuissants face à nombre d’événements extérieurs, mais il est vrai que certains exemples comme la révolution française sont contraires à cette théorie. Cependant, dans tous les cas, nous ne pouvons nier que nous avons au moins l’illusion de maîtriser notre existence, et que parce que cette existence est unique, nous souhaitons tous qu’elle soit réussie, qu’elle s’approche au maximum de l’idéal ; en d’autres termes : nous voulons tous faire de nos vies un chef-d’œuvre, mais est-ce réalisable ?

Un chef d’œuvre est par définition parfait, achevé, éternel, il s’approche d’un idéal, est admirable aux yeux de tous, inspire prestige, reconnaissance de l’artiste : il est considéré comme un exemple. ’on ne peut dissocier trois de ses éléments caractéristiques fondamentaux : l’artiste, l’œuvre et le public. Voyons désormais si l’on peut faire de sa vie un chef-d’œuvre en analysant ces notions successivement.
Faire de sa vie un chef d’œuvre sous-entend " faire de l’art ", et cette capacité à s’improviser artiste est-elle universelle ? En d’autres termes, sommes-nous tous aptes à nous déclarer artistes ? Et par ailleurs, les artistes confirmés ont-ils eux-mêmes été capables de faire de leur vie un chef-d’œuvre ? Lorsque l’on étudie en détails la biographie de Charles Baudelaire, l’on s’aperçoit qu ’à cause de ses angoisses métaphysiques, du spleen, de sa mort due à la contraction de la syphilis… sa vie n’avait pas la grandeur de ses créations littéraires. Mozart, Van Gogh… ne semblent pas non plus avoir été en mesure de faire de leur vie un chef-d’œuvre, alors si même de grands artistes s’en sont révélés incapables, l’on peut douter que l’on puisse véritablement faire de sa vie un chef-d’œuvre.
Considérons désormais non plus l’artiste, mais l’œuvre en elle-même : nous avons conclu dans une première partie que la maîtrise totale de notre vie n’était pas indiscutable, mais si nous ne la maîtrisons pas, alors l’éventualité de faire de sa vie un chef-d’œuvre semble fortement compromise. Par ailleurs, un autre obstacle s’impose : c’est notre mortalité. En effet, la preuve la plus évidente de l’imperfection de l’humanité est sans doute le fait que nous sommes tous destinés à mourir. La mort est l’échec suprême puisque nous ne pouvons ni l’éviter, ni la repousser. Il semble difficile de pouvoir faire de sa vie un chef-d’œuvre alors même que notre vie s’achèvera irrémédiablement par l’échec suprême, puisqu’on ne peut la considérer autrement : si une vie est réellement réussie, qu’elle s’approche de l’idéal, du chef-d’œuvre, alors sa fin brutale ne peut être considérée que comme une tragédie. Cependant, pour qu’une vie soit qualifiée de chef-d’œuvre, il faut qu’elle soit achevée puisque toute œuvre artistique est par définition complète et qu’à tout moment, l’ " artiste " peut voir sa vie s’anéantir à cause d’événements extérieurs : l’annonce d’une catastrophe…
En outre, un autre problème s’impose : la souffrance due à la création artistique. En effet, la plupart des chefs-d’œuvre artistiques (musicaux, littéraires…) n’ont pu être crées que dans le contexte d’une tourmente profonde de l’artiste, rendue célèbre par le spleen de Baudelaire, la difficulté d’écriture de Jean Jacques Rousseau… André Gide affirme même qu’il n’y a : " aucun chef-d’œuvre humain qui ne soi laborieusement obtenu ". Cela signifie t-il que pour faire de sa vie un chef d’œuvre, il faille souffrir, c’est-à-dire renoncer au bonheur ? Cette conclusion paraît paradoxale car l’art implique intuitivement une idée de Beau, de Bien, que l’on n’associerait pas à première vue à de la souffrance, mais la conclusion semble inévitable. Se pose alors la question de la volonté : si on doit pour cela renoncer au bonheur, qui veut-alors faire de sa vie un chef-d’œuvre ? Le désir de faire de sa vie un chef-d’œuvre semble traduire un besoin énorme de reconnaissance par autrui, et conduire sa vie dans le seul but d’être admiré, reconnu post-mortem… est-ce vraiment une œuvre d’art ? Vivre pour être reconnu par autrui ne peut aboutir qu’à une aliénation, et la volonté de se conformer à un idéal, comme Emma Bovary dans l’œuvre de Flaubert par exemple, n’est pas non plus un moyen pour atteindre la perfection espérée : l’art est par essence désintéressé. Il semble donc que pour faire de sa vie un chef d’œuvre, il faille le réaliser involontairement, c’est-à-dire sans s’être fixé cet impératif.
Etudions désormais la dernière caractéristique du chef-d’œuvre : son rapport avec le public. L’on ne peut nier que la subjectivité propre à chaque individu pose un problème dans la reconnaissance d’un chef d’œuvre, et si l’humanité entière s ’accorde à qualifier de chef-d’œuvre la vie de Mère Thérésa, cette dernière ne devait pas être totalement satisfaite de sa vie puisque la faim dans le monde n’a pas disparu et que la misère dans le monde n’a guère évolué après sa mort : le véritable artiste qui a su faire de sa vie un chef-d’œuvre ne peut être qu’insatisfait tant que son idéal n’est pas atteint. La vie de Jean Moulin est elle-aussi une véritable légende, mais en était-il satisfait ? N’a t-il pas eu le sentiment d’échouer à sa tâche puisqu’il n’a pu achever sa lutte ? Finalement, il semble que l’attribution ou non du qualificatif " chef d’œuvre " reste subjectif et ceux qui ont fait de leur vie un chef-d’œuvre l’on fait involontairement et surtout restent éternellement insatisfaits. Peut-être est-ce d’ailleurs leur sentiment d’échec alors que leur vie nous semble formidable qui nous fait tant admirer ces quelques hommes d’exception.

Finalement, à travers cette réflexion il apparaît que chaque être humain désire secrètement faire de sa vie un chef-d’œuvre, et notre ambition personnelle dans les domaines professionnels, sentimental… en est une illustration. Cependant, toute vie " ordinaire " à l’image du " métro-boulot-dodo " ne paraît en rien ressembler à un chef-d’œuvre puisque n’étant ni admirée ni éclatante : elle n’est en rien un modèle pour l’humanité. Par ailleurs, la célèbre philosophie de Montaigne (" Notre grand et glorieux chef-d’œuvre c’est de vivre à propos ") qui suggère un art de vivre permettant une connaissance de soi, de savoir s’accommoder à ce que l’on est et à ce que le monde est… paraît lui-aussi décevant par rapport à nos ambitions personnelles et n’a pas été suivie par les grands destins qui ont préféré leur passion et qui nous font rêver. Nous avons également pu constater que les grands artistes reconnus (Mozart, Baudelaire…) n’ont pas pu faire de leur vie un chef-d’œuvre. Alors finalement ni les êtres ordinaires, ni les artistes n’ont pu faire de leur vie un chef-d’œuvre : seuls certains hommes qui ne le recherchaient pas ont pu le réaliser, et cela parce qu’ils s’engageaient totalement dans leur combat, parce qu’ils vivaient entièrement à leur passion. Aussi des êtres de légende comme Luther King, Nelson Mandela, M-re Thérésa, Jean Moulin… nous font rêver. Mais finalement, ne vaut-il mieux pas rêver du destin admirable de Jean Moulin et vivre dans une démocratie ? Car finalement ce qui les rend admirables n’est qu’une lutte contre une injustice profonde, ainsi la question : peut-on faire de sa vie un chef-d’œuvre se retourne et il vaut peut-être mieux se demander : veut-on tenter de faire de sa vie un chef-d’œuvre, ou plutôt rechercher le bonheur ?