L’histoire est-elle un destin ?

Bonnes Copies

Bonne Copie du lycée Blaise Pascal de Clermont ferrand. Cette copie a été notée 14/20. Le commentaire du professeur est : Une analyse intéressante qui envisage tous les aspects du problème.

Bonne copie du lycée : 63 - Clermont-Ferrand - XXXX

Cette copie a été notée : 14 / 20

Commentaire du professeur : Une analyse intéressante qui envisage tous les aspects du problème.


Untitled Document L’Histoire, un mot pourtant si simple et qui nous inspire tant de significations différentes les unes des autres. En effet on parle h’Histoire " avec un grand h ", d’histoire de la vie, d’histoire mythique, d’histoire que l’on apprend à l’école… et toutes ces significations désignent à la fois la vie d’un être en particulier, mais aussi celle de l’humanité toute entière. Face à cette difficulté, les intellectuels de tous temps se sont interrogés et nous ont livré leur définition personnelle de l’Histoire, ainsi que de son fonctionnement.
Dans " Madame Bovary ", Flaubert justifie la mort qui correspond à la fin de son histoire, de son héroïne par la fatalité : personne ne peut lutter contre le déterminisme. Cette prise de position de Flaubert pose donc le problème de la rationalité de l’histoire : en effet, si l’on considère que nous sommes tous déterminés à accomplir notre destin dès notre naissance, l’on peut alors se demander si l’histoire a un sens. Mais avant de répondre à ce problème fondamental, nous étudierons les différentes conceptions de l’Histoire face au déterminisme, ensuite nous analyserons le rôle des hommes dans son élaboration, puis du hasard afin de conclure sur le sens de l’histoire.

Le destin du latin " destinare " signifiant fixer, assujettir, affecter à, attribuer à … reste un grand problème pour l’humanité toute entière, puisqu’il y a plusieurs interprétations. En effet, l’on peut considérer le destin comme une force aveugle, irrationnelle et funeste nommée " moïra " chez les Grecs, composant l’Histoire, ou comme une succession de causes, un protocole organisant le monde " amarené " chez les Stoïciens. Il apparaît donc dans cette théorie antique qu’il existe bel et bien une fatalité régissant le monde, que l’avenir est prédestiné par un pouvoir inhumain, au sens étymologique du terme, sans qu’aucun obstacle ne puisse le renverser.
Cette définition s’illustre notamment très bien dans la littérature grecque, ou dans la mythologie : le mythe d’Œdipe par exemple nous montre que lutter contre sa destinée est inutile, puisque l’histoire est prédéfinie : Œdipe tuera son père et épousera sa mère, et toute tentative de refus de ce destin restera vaine. Il en est de même pour sa fille Antigone, dont le destin la condamnera à mort. (" Antigone était faite pour mourir ")
Au contraire, l’on peut considérer le destin non pas comme irrémédiablement funeste, néfaste, mais plutôt comme étant providentiel. Certaines religions comme le christianisme par exemple, considèrent que le destin existe, mais surtout qu’il est divin, providentiel. En effet, pour certains penseurs comme Saint augustin, ou Bossuet, c’est Dieu qui organise le monde, qui donne un sens et une cohérence à tous les événements imprévisibles et en apparence chaotiques qui composent l’Histoire. Il apparaît qu’il y a donc bien une force extérieure à l’homme qui régit l’Histoire : l’homme semble bien ici subir son destin, sans pouvoir à aucun moment le maîtriser.
Pour un autre penseur : Hegel, l’Histoire est une manifestation de l’esprit. L’homme ne serait alors qu’un instrument de l’Histoire, définie comme quelque chose de plus élevée, de plus vaste : l’homme la réaliserait en l’ignorant, de manière inconsciente. Selon cet auteur, l’homme est incapable de faire l’Histoire, il ne peut que lq penser, puisque " tout fait est gros d’autres résultats ni voulus ni prévus ". Il y aurait donc une intervention plus ou moins divine qui réaliserait l’Histoire universelle.
Dans ces premiers arguments, il apparaît que l’Histoire semble réellement être un destin. Cependant cette théorie suggère que l’homme ne serait qu’un instrument, un robot, un pion… et cette idée est difficilement acceptable : on risquerait de tomber dans la folie. Les théories grecque, chrétienne et hégélienne ne paraissent donc pas totalement satisfaisante. Voyons maintenant si l’homme est capable de maîtriser son histoire.

A l’inverse de toutes ces théories, l’on peut également admettre que l’homme est maître de son destin, de son histoire. Telle est d’ailleurs la philosophie des existentialistes, dont Sartre symbolise le mouvement. Pour ce dernier, " l’existence précède l’essence ". Cette célèbre citation suggère que l’homme en tant qu’individu naît avant d’être, en d’autres termes : à sa naissance l’homme n’est rien, ce n’est qu’en grandissant, en vieillissant qu’il devient lui-même. Cette théorie entraîne plusieurs conséquences fondamentales, comme la responsabilité individuelle (je suis responsable de mes actes, de mon être puisque c’est moi qui ai choisi d’être ce que je suis) ainsi que le refus du déterminisme. En effet, Sartre rejette toute notion de déterminisme puisque selon lui, l’existence n’a aucune norme pré-établie : nous sommes tous potentiellement identiques à la naissance et rien ne nous contraint à être ce que l’on est : on est ce que l’on a choisi d’être.
De plus, pour répondre à ses critiques, Sartre affirme : " la mort transforme la vie en destin ". Cette citation suggère ainsi que la notion de destin n’apparaît qu’après la mort d’un individu, et celle-ci sur l’exemple du héros tragique. Ce dernier, tant qu’il vit se refuse justement à son destin : affirmer que son destin serait de fuir son destin paraîtrait ridicule.
La théorie de Sartre paraît donc plus justifiée que les précédentes puisqu’elle nous évite de tomber dans la folie, en plaçant le sujet comme maître de l’Histoire. Cependant, l’on doit avouer que l’Homme est incapable de prévoir avec certitude l’avenir. Il apparaît donc ici que l’homme n’est pas entièrement maître de son destin : la philosophie de Sartre est ici insuffisante. Analysons maintenant une autre théorie : celle du hasard.

Jusqu’à l’époque d’Augustin Cournot (1801-1877), l’on estimait que le hasard était une ignorance provisoire des hommes, la science illustrant ce principe puisque certaines incompréhensions, telles que le mouvement des planètes … qui était jadis attribué au hasard, se révèle être régit par des lois physiques.
Augustin Cournot va lui, réfuter cette thèse, affirmant que le hasard a son fondement dans la réalité, qui n’est pas relative à la faiblesse de l’esprit humain. Le hasard serait donc le fondement de l’Histoire ainsi que des successions d’événements fortuits qui échappent à la raison. Cependant Cournot n’affirme pas que l’Histoire soit constituée d’une succession de hasards : c’est l’idée de l’ordre, de " raison des choses " qui lui confère une orientation, qui donne un sens à l’évolution. Le hasard n’est donc pas le seul facteur composant l’Histoire, il y a aussi cette raison des événements qui fait que les causes profondes l’emportent toujours, puisque les accidents finissent par se compenser.
Cette théorie s’oppose catégoriquement à celle de Marc Bloch qui dans l’Apologie pour l’Histoire du métier d’historien nie toute forme de hasard, de fatalité, notamment grâce à son célèbre exemple du sentier de la montagne. Marc Bloch affirme que si un homme tombe dans le vide depuis cette montagne, la fatalité n’en est pas responsable puisque ce sont les lois physiques (apesanteur…) qui provoquent sa mort. Bloch étend même cette théorie sur les événements historiques comme les guerres parce que " les lois des trajectoires valent pour la défaite comme pour la victoire ". Pour ce philosophe, toute forme de hasard ou de fatalité semble donc inconcevable.
Ces deux dernières théories (Cournot et Bloch) ne sont-elles non plus pas tout à fait satisfaisantes puisqu’elles considèrent que l’homme n’est pas maître de l’Histoire, que celle-ci est dépendante d’autres facteurs incontrôlables et l’homme accepte difficilement le fait d’être impuissant devant le hasard ou la physique.

Toutes ces philosophies paraissent donc incomplètes, et ne permettent pas de trouver une réponse irréfutable au problème du destin et de la prédestination. L’on en revient donc à remettre en question l’Histoire et à se demander si elle a réellement un sens, une rationalité.
La question de savoir si l’Histoire a un sens ou non est essentielle pour l’homme dans la mesure où elle gouverne son engagement dans le monde. Cependant répondre de manière certaine, catégorique à cette question paraît impossible puisque les seules références, les seuls exemples que l’on possèdent sont historiques, et donc uniques : la question semble donc insoluble.
Si l’on considère que l’Histoire n’a aucun sens, qu’elle est absurde, alors on approuve les pessimistes théories de Sartre par exemple, pour qui l’existence même est l’absurdité absolue : elle n’a ni raison d’être, ni finalité. Selon cette théorie, l’unique source du sens incombe à la conscience de l’homme, l’histoire est-elle complètement absurde ?
Si l’on considère que l’Histoire a un sens, alors on justifie l’existence de certaines valeurs, comme l’espérance d’un monde meilleur, par exemple. En effet, cette théorie suggère puisque l’Histoire a un sens que les hommes sont capables de " tirer des leçons " de leur passé et ainsi d’améliorer leur vie. De plus, cette notion implique une idée de liberté : l’homme est maître de son destin, il est libre, et puissant puisqu’en étudiant son passé, il pourra en dégager des enseignements qui lui permettront d’agir sur le destin, de le contrôler.
Cette dernière théorie paraît donc intéressante puisqu’en donnant un sens à l’Histoire, elle semble également en donner un à l’humanité. Ainsi elle nous permet de nous échapper de l’absurde, en posant que les souffrances humaines ne sont plus gratuites puisqu ’elles permettront à l’humanité de progresser. Cependant affirmer que l’Histoire a une signification n’est pas sans risque, puisqu’elle permettrai de justifier des atrocités comme des massacres, des génocides… en affirmant qu’ils sont historiquement inévitables. En outre le sens de l’Histoire permettrait de justifier une certaine forme de totalitarisme, en imposant une idée, un parti politique, et en rejetant tous les autres au nom de l’Histoire qui a un sens ; c’est notamment le cas du stalinisme.

A travers cette réflexion, l’on a pu comparer les différentes conceptions de l’Histoire, avec celle des Grecs, des Chrétiens, d’Hegel ; mais comme aucune d’elle ne paraissait entièrement satisfaisante, on a cherché à analyser le rôle de l’Homme, puis celui du hasard dans l’Histoire.
Finalement, nous avons été amené à nous intéresser au sens de l’Histoire et l’on a pu distinguer deux possibilités ; selon si l’on considère qu ’elle a un sens, ou non, et l’on a vu que l’on a plutôt tendance à croire en ce sens, puisqu’il justifie l’existence de l’homme et de toute l’humanité, mais l’on a également noté les dangers que peut entraîner l’hypothèse du sens de l’Histoire. Il appartient donc à l’homme de choisir ses concepts, et ceci pose problème, puisque tous les hommes ne choisiront pas les mêmes principes, alors que la vérité est individuelle. Si personne ne trouve de théorie universelle, serait-ce parce que nous ne détenons aucune liberté ?