La connaissance

Bonnes Copies

Bonne copie du lycée : 75 - Paris - PREPASUP - PREPACOM

Cette copie a été notée : 13 / 20

Commentaire du professeur : Travail d'excellente qualité qui fléchit toutefois dans sa dernière partie .l'expréssion est très maîtrisée et les connaissances bien intégrées.


Oedipe, personnage mis en scène par Sophocle dans Oedipe-Roi poussé par l'oracle, symbole de la vérité, a voulu échapper à son destin qui lui prédisait la mort de son père et la connaissance de sa mère. Prenant pour connaissance certaine l'identité de ses parents il décide de les fuir. Sa route le conduit à Thèbes où ses qualités lui permirent d'accéder au titre de roi ; lorsqu'il apprit que ceux qu'il avait quittés n'étaient pas ses parents naturels, il entreprit une quête de la vérité, de la connaissance qui lui apprit qu'il avait déjà réalisé la prédiction de l'oracle. Ce personnage est marqué par ce paradoxe: une connaissance erronée l'a conduit au pouvoir, la vérité l'en a déchu. Aristote rappelle dans sa Métaphysique des mœurs que tous les hommes aspirent à la connaissance, au savoir. Dès lors que la recherche de la vérité, de la connaissance est inscrite dans l'espèce humaine, il apparaît légitime de s'interroger sur la connaissance, sur l'acte même de connaître. Qu'est-ce que la connaissance ? Que puis-je connaître ? Quels sont les moyens qui rendent la connaissance possible ? Et sachant que la connaissance est accessible à l'homme, quels en sont les enjeux ? Que sert cette connaissance ? Si on en suit le destin d'Oedipe la connaissance en tant qu'elle est certaine et absolue serait peut-être préjudiciable, vaut-il mieux savoir ou ignorer ?

Connaître, c'est informer la matière, le réel. Platon définit la connaissance comme le résultat de l'activité humaine qui vise à aller au-delà de l'évidence, des apparences donc, de sortir d'une logique purement contemplative de la réalité. La connaissance est donc liée à l'intuition sensible et à l'évidence. Mais en rester au degré de l'intuition, de la perception qui est déjà une organisation du sensible, conduirait l'homme à en rester au stade du préjugé qui ne s'oppose pas en tant que tel à la connaissance en ce sens qu'il en est le stade primitif, un élément constitutif à dépasser pour parvenir à l'achèvement que constitue la connaissance. La connaissance apparaît alors au-delà de l'évidence, de l'intuition, du préjugé mais en deçà du savoir qui impose déjà la notion de certitude. Celui qui sait, même si parfois son savoir n'est qu'une croyance, en a l'ultime conviction. Connaître n'implique pas de conviction, son action résulte simplement d'un jugement déterminant sur la réalité, sans qu'on cherche à savoir si cette réalité qu'on perçoit est conforme à la réalité telle qu'elle devrait être perçue. La connaissance est le résultat de l'information de la réalité sensible par l'homme, réalité à laquelle elle est intimement liée.
La connaissance résulte de la volonté de l'homme de déterminer les causes premières et finales de toutes choses. A cette question des causes du réel, des réponses différentes ont été proposées ce qui a conduit A.Comte à les schématiser dans sa théorie des trois âges, où il tendrait à démontrer que l'évolution des réponses données par l'espère humaine suit celle de l'homme, que l'ontogenèse suit le chemin de la phylogenèse. Ainsi à " l'âge théologique ", assimilé à l'enfance, l'homme répond à la question des causes par l'existence d'un ou plusieurs dieux. Durant son adolescence, " l'âge métaphysique " qui caractérise le 18ème siècle la réponse est dans la Raison ou la Nature. Le 19ème siècle, " âge scientifique ", âge de la maturité correspond à une rationalisation et à une explication totale des phénomènes par la science. La question comment remplace la question pourquoi. Dès lors, si on s'en tient à la définition kantienne de la connaissance dans la critique de la raison pure qui affirme que " la connaissance part du sensible, passe de là à l'entendement et s'achève dans la raison ", la connaissance dérive tout droit de l'expérience puis l'entendement qui produit les concepts synthétise le concept et l'expérience sensible pour produire la connaissance. La connaissance provient d'une opération de l'entendement sur la réalité sensible.
Si on arrive à expliquer la connaissance comme synthèse, à en expliquer la naissance dans l'esprit humain, on pourrait concevoir que l'homme, fort de cette connaissance, l'érige en savoir, fasse de sa perception un absolu, une certitude. Néanmoins comment savoir qu'un savoir est sûr ? C'est pour répondre à cette question que Descartes va instaurer le discours de la méthode, quatre principes qui selon lui, garantissent la légitimité du savoir dès lors que la méthode a été appliquée. Par la technique, l'homme peut accéder au savoir qui dépasse toute connaissance et donc l'expérience. Notre modernité a fait de la connaissance un impératif constitutif de la science. Tout savoir vient de la connaissance et donc de l'expérience. Dans la perspective de constituer les sciences, il semble légitime de s'interroger sur les limites du champ de la connaissance qui sont liées à celles de l'expérience. L'homme veut tout connaître et expliquer toutes les réalités sensibles mais en a-t-il les moyens ? A quelles barrières va t-il se heurter dans sa quête de tous les savoirs ?

Toute science découle de l'expérience, mais il est indéniable que toutes les réalités ne sont pas matérielles et sensibles. Il existe des réalités dont l'homme ne fera jamais l'expérience, Kant cite à ce propos Dieu ou l'âme, on peut aussi y ajouter la liberté. Ces réalités sont hors du champ de l'expérience, elles échappent donc à toute forme de connaissance, elles échappent à l'entendement mais sont le produit de la raison " pure " détachée de toute sensibilité. La connaissance a donc ces limites qui sont celles de la raison humaine. Néanmoins les limites de la connaissance n'empêchent pas la science de progresser, Bachelard, dans son essai sur la formation de l'esprit scientifique met en avant la thèse des " obstacles épistémologiques. Ces obstacles trouvent leur origine dans la culture, dans les préjugés de l'homme face aux connaissances accumulées par le passé qu'il ne remet pas systématiquement en cause. Ces obstacles doivent être dépassés pour permettre à la science d'avancer et de continuer sa progression. La connaissance s'inscrit dans un processus d'accumulation quantitative et de théorisation, de modélisation qui se développe avec les sciences mais qui trouve son origine dans l'expérience sensible, mais quelle en est la légitimité ? La connaissance repose-t-elle sur un principe objectif et absolu ?
L'homme ne connaît de la réalité que les phénomènes, il n'en connaît pas les objets. Kant affirme que les " noumènes " échappent à la raison et que l'homme ne connaîtra que leur mode d'apparition. Mais l'analyse des phénomènes repose sur le déterminisme, c'est à dire que toute chose a une cause et les mêmes causes produisent les mêmes effets. Mais quel est le principe fondateur de la causalité ? Hume, philosophe de tradition empiriste, dévalorise la notion de causalité dans ce sens qu'elle dérive de l'expérience et des tendances de l'esprit humain. L'expérience nous montre la constance et la répétition de certains phénomènes et l'habitude, tendance de notre esprit, nous conduisent à en déduire la relation de causalité, à anticiper, à prévoir. Kant dans la critique de la raison pure va néanmoins rétablir la notion de causalité qui réinstalle la légitimité de la science, basée sur la croyance au déterminisme, en proposant la thèse que la causalité serait une catégorie de l'entendement à priori. Le sujet que Hume qualifiait d'ego transcendantal s'est trouvé être le sujet naturel, l'homme est ce sujet " hypothétique " qui a la faculté de ne pas céder à ses tendances puisque la relation de causalité et par nature en lui. La causalité fonde la connaissance mais sa dépendance de l'expérience la fragilise, Descartes définissait l'empirisme en écrivant " rien n'est sans la raison qui ne fut d'abord dans les sens ", cette attache au sensible peu décrédibiliser la théorie visant à s'ériger en absolu.
Les lois scientifiques sont " nécessaires et universelles " affirmait Kant. Mais ces mêmes lois sont soumises à la fiabilité des déductions qui sont à leur origine en même temps qu'à la fiabilité de l'expérience. On ne peut mesurer simultanément la position et la vitesse d'un électron, c'est ce qu'affirme Heisenberg dans son principe d'incertitude, car l'observation même du phénomène le modifie. Si on doit forcer la nature à répondre à nos questions par l'expérience, il ne faut pas négliger le rôle de l'investigateur dans l'interprétation même des résultats. La théorie est une mise en scène de l'expérience. La science théorise toute connaissance, mais que sert la théorie dans le domaine de la politique et de la pratique ?

La théorie de la connaissance, les sciences se veulent totalement objectives et absolues de par le fait même des sciences expérimentales, puisque le réel doit infirmer ou confirmer la théorie. Néanmoins " l'immaculée conception de la science " est un mythe comme l'écrit Thuillier. On croit les sciences détachées de toute idéologie, il n'en est rien et les découvertes simultanées le prouvent comme la découverte du calcul intégral par Newton et Leibniz à la même période. La science n'est pas détachée du monde de l'action politique et morale. Au contraire tout les lie, les découvertes ne sont rendues possibles que par l'orientation qu'on leur fait prendre, toute recherche est financée et derrière tout financement il y a une finalité.
Kant voudrait que toute action morale suive l'impératif catégorique, c'est-à-dire que l'homme n'agisse que s'il sait que le principe de son action est universalisable. Théoriser c'est rationaliser et donc universaliser. Mais il semble pourtant y avoir une adéquation entre la théorie et la pratique au sens de praxis qui est le champ de l'action politique et morale. La théorie est inadaptée à ce domaine car " la théorie est une chose grise et l'arbre d'or de la vie est verdoyant " écrivait Goethe. Cela souligne l'idée que chaque action est particulière et qu'universaliser conduirait à l'erreur. Machiavel dans Le Prince théorise le pouvoir, veut en donner le meilleur usage possible tout en sachant qu'il ne faut pas le faire en imaginant les hommes tels qu'on voudrait qu'ils soient mais tels qu'ils sont réellement, c'est-à-dire peu enclins à la discipline ni au bien si rien ne les y force, l'homme serait historiquement voué au mal. Mais cette théorie du pouvoir reste une ébauche sans conséquence ni véracité, car seul celui qui a l'expérience du pouvoir peut en mesurer l'étendue et en saisir les implications, les devoirs. Celui qui théorise le moyen de garder le pouvoir est dans une logique purement spéculative et s'illusionne, croit savoir quand il formule des hypothèses, purs produits se sa raison et non de son entendement.
Le mensonge fonde parfois l'ordre de la raison. Si la loi et le droit règnent c'est par le fait d'un mensonge originel, fondateur. On retrouve cette idée dans l'essai sur l'origine des langues de Rousseau où il explique que la société civile s'est instaurée par la violence, le pouvoir, " celui qui le premier, ayant enclos un terrain, dit " ceci est à moi " et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le premier fondateur de la société civile. La connaissance, le savoir et les sciences visent la vérité et cherchent les moyens de la fonder mais il semble que dans le domaine de l'action politique et morale la raison et la vérité soient des quantités négligeables et illusoires visant à nous orienter.

Connaître la réalité et la modéliser de façon théorique n'aident pas l'homme à se diriger dans le domaine de la praxis où l'irrationnel et les passions semblent dominer. La connaissance dévalorise le préjugé et l'ignorance.
Mais celui sui sait agir, prendre une décision sans connaître la réalité et parce qu'il est pris par l'urgence, possède une qualité supérieure à celui qui sait. Le préjugé permet de se rapprocher de l'instant alors que la connaissance nous place toujours dans un retard par rapport à la temporalité. L'ignorance est parfois elle aussi supérieure à la connaissance car elle en est la forme la plus aboutie, on ne peut avoir aucune certitude et comme le disait Socrate " ce que je sais, c'est que je ne sais rien. Se mettre dans la position de celui qui ignore, c'est avouer notre incapacité à affirmer avoir atteint le vrai ou l'absolu mais sans pour autant renoncer à l'atteindre. Le préjugé et l'ignorance sont les formes les plus achevées de la connaissance car elles sont seules à même de nous conduire dans le chemin de la praxis de laquelle la science nous éloigne de par sa distance théorique.