Pourquoi l’homme peut-il parfois désirer l’inconscience ?

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Bonne copie du lycée : 75 - Paris - Lycée Montaigne

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Commentaire du professeur : Ensemble de valeur mais plus intuitif qu'analytique


Il existe bien des stratégies de fuite dans l'inconscience. On peut chercher à oublier une vie malheureuse dans l'alcool, le jeu ou toute forme d'étourdissement. Le désir de l'inconscience est la porte de sortie commune, pour qui éprouve son existence dans un malaise profond et ressent un moment une propension à la fuir.
Cependant, on ne sait pas ce que l'on fuit et si toutes les motivations qui poussent à l'inconscience se valent. C'est une chose que de prendre une drogue pour se donner une euphorie qui vous fait oublier la conscience du réel, mais c'est est une autre que de s'en aller dormir le soir ; et pourtant ce sont deux formes d'inconscience. Elles ne répondent pas aux mêmes raisons.
Pourquoi l'homme peut-il donc parfois désirer l'inconscience ? Faut-il voir dans ce désir une faiblesse psychologique ou un besoin naturel ? En quel sens est-ce une caractéristique humaine ? Cette question implique aussi de vérifier si c'est exactement l'inconscience qui est désirée ou si ce n'est pas autre chose qui est en jeu au travers de l'inconscience.
Mais tout d'abord, dans la question posée, que devons-nous entendre par " inconscience " ? Il y a plusieurs formes d'inconscience. On peut appeler inconscience naturelle, ce besoin que chaque être humain satisfait dans le sommeil profond et dans le rêve. Le sommeil profond ou sommeil sans rêve, est un état d'inconscience dans un sens particulier : il est torpeur, mutisme, ignorance du monde extérieur, réclusion en soi-même, mais aussi paix sereine due à l'absence de tout conflit entre le moi et le monde. Nous pourrions déjà repérer ici ce qui peut être attirant dans cet aspect d'inconscience : cette délivrance vis-à-vis des soucis et des peines, des tiraillements de l'état de veille, un état de bonheur paisible. C'est déjà une tentation qui peut expliquer que parfois certains ressentent le besoin de faire une cure de sommeil dans une période de dépression grave. Même si évidemment cela ne résout rien, dormir, c'est se débarrasser du monde, se débarrasser des autres et aussi de soi-même. Dans le sommeil, il n'y a plus de conscience de rien, l'ego lui-même a disparu. Ce qui est étrange, c'est qu'en plus cette disparition du moi soit plutôt bien vécue. Nous disons " j'ai bien dormi ", " j'étais bien dans le sommeil ", comme si cette mort de l'ego dans l'inconscience donnait un réel bonheur.
L'état de rêve, présente un autre aspect de l'inconscience naturelle, la possibilité de laisser la pensée à elle-même dans l'imaginaire. Le rêveur est bien
inconscient au sens où on l'entend couramment, il a perdu les repères, les interdits, le sens du respect d'autrui. Il peut jouir de ses fantasmes hors des limites de l'état de veille. C'est une tentation offerte au désir que la satisfaction dans l'imaginaire. Chacun peut trouver dans le rêve une revanche contre la vie. Dans le rêve, on peut être le plus beau, le plus désirable, le plus fort, le meilleur, le plus riche ou le plus envié. Nul doute que si on fabriquait une pilule pour rêver 24 heures sur 24, ceux qui souffrent se précipiteraient pour fuir la grisaille, la tristesse de la vie ordinaire, pour fuir une forme corporelle que l'on déteste, une condition sociale désastreuse, la dureté et la médiocrité de la vie. La publicité le sait bien, elle qui pousse constamment les gens à rêver, comme le dit une agence de voyage " rêvez, nous ferons le reste ". La propension à fuir dans le rêve est facile à exploiter commercialement, il suffit de faire croire que l'on vend le rêve et l'on fait baver d'envie tous ceux qui souffrent de frustrations sans nombre et qui n'aspirent qu'à cela. " Ailleurs c'est toujours mieux qu'ici " pense en elle-même cette vie qui n'arrive pas à vivre et qui souffre d'elle-même.
On peut appeler inconscience morale le comportement de celui qui semble aveugle aux interdits, qui perd le sens du respect de l'autre, de ses responsabilités, des limites à ne pas franchir, des conséquences d'une action, pour commettre un acte qu'il regrettera la plupart du temps ensuite, " un acte d'inconscience ". C'est par exemple le geste négligeant d'une fille qui en riant jette dans le fourré son mégot de cigarette allumé, alors que l'été a desséché toute végétation. Ce geste fait " comme ça ", " sans en avoir l'air ", indique que l'on se moque éperdument des conséquences, de la possibilité d'incendie. L'aveuglement typique de l'inconscience va ici avec l'étourdissement que l'on se donne à " s'amuser " avec d'autres. Il y a ainsi des choses que l'on ne ferait pas tout seul, mais que par entraînement on fera dans la gaieté collective : par pure inconscience. Cela veut dire qu'il n'y a pas exactement de mauvaises intentions, sinon ce ne serait plus de l'inconscience, mais une sorte de fuite en avant dans une impulsion. On est à un moment comme aveuglé, on agit de manière écervelée, on ne se rend pas compte de ce que l'on fait.
Du point de vue du Droit, il faudra alors distinguer le meurtre prémédité (répondant à un projet, une intention), du meurtre dû à une perte de conscience momentanée (sans projet à long terme). Ce qui montre à quel point l'homme est un être dangereux, non seulement en vertu de sa liberté il peut commettre le mal intentionnellement, mais il peut aussi " faire mal ", par inconscience. Inversement, quand nous sommes vigilants, nous gardons un sens de l'interdit et des limites à ne pas franchir. Nous avons devant autrui une certaine retenue, le sens du respect, nous ne perdons pas de vue nos responsabilités. Nous sommes plus ou moins sur le qui-vive, très conscient de ce que nos actes porte à conséquences. En bref, nous " faisons attention à " et cette attention nous préserve d'une attitude inconsciente en nous donnant la distance de l'observation et de la réflexion. L'inconscient, sur le plan moral, est complètement irréfléchi, en restant attentif et en prenant soin du présent, nous sommes prémunis contre l'inconscience.
Maintenant que nous avons éclairci les formes que revêt l'inconscience, il nous faut chercher des raisons d'aspirer à une forme d'inconscience. Il peut y avoir plusieurs motivations ou peut-être une motivation essentielle du désir d'inconscience. Que cherchons-nous dans l'inconscience?
S'il y a un désir d'inconscience, le processus de ce désir peut être interprété comme tout autre désir. Qui dit désir dit manque. On ne désire que ce que l'on n'a pas, on ne désire pas ce que l'on a déjà. Le désir participe d'autre part d'une promotion générale de la vie, la vie cherche sa propre expansion, trouver cette expansion procure le bonheur. Si nous considérons seulement l'inconscience naturelle, il y a un bonheur paisible du sommeil, une libération des tensions et des soucis qui rend cette inconscience désirable pour une individualité de veille surchargée de fatigue et de tensions. Ce type de bonheur reste pourtant négatif. Ce n'est pas la joie d'avoir accompli quelque chose dans le domaine de la vie, ce n'est pas une satisfaction résultant d'une action concrète, ce n'est qu'un retrait hors de la sphère de l'action. Ici, peu de motivations assez précises, vu l'absence d'intention : on se laisse aller au sommeil sous l'empire de la fatigue, on cesse de désirer, et c'est justement ce qui nous attire.
Si par contre on replace ces idées dans le champ psychologique de l'inconscience morale, les motivations seront plus claires. Dans la mesure où la vie ne se supporte plus elle-même, c'est-à-dire où le manque de la vie est un manque d'être. L'exemple de la cure de sommeil en est un. Dormir n'a jamais résolu aucun problème, mais c'est une évasion possible devant les problèmes, une façon de chercher à oublier et à s'oublier. Derrière le désir d'inconscience peut se profiler un désir de mort. Le langage de la drogue est terriblement éloquent. On cherche à " s'éclater ", à se " défoncer ", mais ces mots veulent dire se détruire, éclater dans une extase finale...Le plaisir devient alors l'alibi qui accompagne une motivation cachée, celle de mettre fin à ce que l'on est. En un sens, le plaisir tiré de l'alcool, du jeu, tous les plaisirs sensuels poussés dans l'excès peuvent relever de cet étrange désir. On s'éclate et cherchant surtout à s'étourdir pour oublier la réalité, le résultat étant qu'invariablement la réalité parait encore plus terne. Les moments où on a l'impression de vivre (ceux du shoot solitaire ou de la cuite à plusieurs) sont d'autant plus courts, rares qu'ils sont l'expression au fond d'une conscience médiocre ou minable. La vie se déprécie toujours elle-même que d'être recherchée dans des moments de jouissance brutale.
La volonté de s'étourdir peut être habitée par ce que Freud appelle la pulsion de mort. Dans la théorie freudienne, le refoulement est interprété comme la lutte entre Eros (la force de la vie) et Thanatos (la pulsion de mort). Il y a une manière de prendre des risques inconsidérés, de flirter avec la mort qui relève directement de cette attitude. Jung, dans Essais d'exploration de l'inconscient mentionne le cas d'un fanatique de l'alpinisme qui voulait toujours se " dépasser " disait-il. Il avait été mêlé à une affaire très malsaine qui le torturait et dont il ne savait pas comment sortir. Ses rêves le montrèrent faisant une chute mortelle. Jung vit tout de suite la pulsion morbide. Les avertissements directs de Jung ne servirent pourtant à rien, l'homme périt dans une chute qui entraînant celui qui le suivait. Le guide l'avait vu mettre sciemment le pied dans le vide. Son désir de se " dépasser " était très ambigu, ce désir de pousser les risques jusqu'à l'inconscience était habité par une pulsion morbide qu'il cherchait à accomplir. En terme de psychanalyse, on dirait que l'homme avait refoulé en lui un conflit qui faisait qu'il se détestait intérieurement. Ce refoulement dans l'inconscient engendre de lui-même des actes manqués : ce besoin compulsif de danger.
Il peut donc y avoir plusieurs type de motivations du désir d'inconscience : celui d'une fuite psychologique devant la réalité, celui qui consiste à essayer de combler un vide de sens, celui d'un désir de mort ou d'une réclusion dans un plaisir solitaire. d'un besoin de se faire reconnaître devant autrui.
A la limite donc, seule l'ignorance, l'absence d'une compréhension juste de ce que nous sommes, peut laisser croire à la valeur de cette absurdité qu'est le désir d'inconscience. Y remédier veut dire redonner à la connaissance de soi toute son importance. La connaissance lucide de soi-même permet à l'homme de redresser la tête, d'être pleinement ce qu'il est, de mettre fin à cette contradiction où nous entraîne toute fuite de la réalité. Cela signifie alors aussi abolir toute conscience égocentrique dans une plus haute conscience.
La question qui nous était posée était formulée avec exactitude, puisque l'homme ne peut que désirer "parfois" l'inconscience, il ne peut pas par nature vouloir l'inconscience.
Il le fait dans une situation de détresse, de solitude, de vide, contraint par la fatigue, il le fait dans la souffrance, sans voir que justement ce désir vient renforcer ce que l'on voudrait fuir. On pourrait peut-être argumenter en disant qu'après tout il y trouve le bonheur de " l'imbécile heureux ". Ainsi du sourire niais de celui qui, inconscient de presque tout, parvient à un petit bonheur dans la médiocrité de ses fins : collectionner des pin's ou des timbres, s'exciter devant la télé, etc. Mais pouvons-nous aspirer à cela? Notre aspiration n'est-elle pas souci de l'excellence? Nulle jouissance sans action, nulle victoire sans conquête. Seule une conquête de haute lutte délivre une vraie joie. Le désir d'inconscience est à l'opposé de nos aspirations. En nous même, il y a deux tendances, rationnelle et désirante et on l'est heureux quand la première a prise sur l'autre. Que l'on puisse aspirer à l'inconscience tout de même atteste seulement du fait que l'homme est un être faible et fragile. La vie nous oblige à vouloir le meilleur, à désirer une conscience plus élevée en toutes choses.

Auto-évaluation : 13/20 Bonne analyse de l'inconscience chez l'homme, discours moral qui me caractérise.