La notion d'autorité

Bonnes Copies

Bonne copie du lycée : 75 - Paris - Lycée Louis le Grand

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Commentaire du professeur : Cette dissertation a le mérite de montrer les convergences et les distinctions entre pouvoir et autorité. Bon travail.


"Ni Dieu, ni maître", tel est le credo des anarchistes, qui réclament la destruction de toute forme d'autorité en tant que celle ci constitue un obstacle à l'exercice des libertés individuelles. Pourtant certains approuvent l'autorité en tant que celle ci représente un ensemble de règles synonyme d'ordre. On le voit, la définition de l'autorité et de sa nécessité est propre à chacun. Qu'est ce que l'autorité ? Afin d'éclairer l'origine, la réalité et la pérennité de la notion d'autorité, nous déterminerons qui peut l'exercer ou l'avoir et sur qui, puis dans quelle mesure elle permet de légitimer la construction d'une société, enfin si nous pouvons et devons renverser une autorité, voire l'autorité, notamment par le prisme de ce qui distingue l'autorité du pouvoir.

La notion d'autorité est spécifique à l'être humain. Celui peut non seulement "avoir de l'autorité" mais encore "faire autorité". Les deux acceptions ont des connotations positives. D'ailleurs ne pas avoir d'autorité -"tu n'as pas d'autorité"- passe pour un reproche. Ainsi, celui qui "a de l'autorité" est par exemple un professeur qui sait se faire respecter et écouter de ses élèves, sans toutefois leur inspirer la crainte ou utiliser la force. C'est de plus une notion exclusive : on en a ou pas, par opposition au pouvoir, qu'on peut avoir avec plus ou moins d'intensité. De plus, c'est d'un spécialiste dont les thèses sont reconnues par tous qu'on dit qu'il "fait autorité en sa matière". En d'autres termes, ce qu'il a réalisé lui permet de jouir du respect des autres.
Qui exerce l'autorité ? C'est avant tout le fait d'une personne : un homme, une personne morale, comme la police (appelée d'ailleurs "les autorités"). Or, avoir de l'autorité implique qu'on l'exerce : ce n'est pas un simple sentiment isolément ressenti par un homme car l'autorité se manifeste toujours dès qu'elle existe. Ainsi ne s'exerce t'elle jamais sur soi-même, mais sur autrui : un groupe d'hommes ou un seul individu, comme dans le cas de l'autorité paternelle exercée sur un enfant par exemple.
Cependant, si l'autorité n'est pas un sentiment isolément ressenti par un seul homme, elle suscite bien un sentiment chez celui sur qui elle s'exerce, par exemple du respect. Ce sentiment a une influence sur l'action, et conduit d'ailleurs le plus souvent à la freiner, voire à rendre l'objet d'autorité passif (être "sous l'autorité de") : un savant devra ainsi renoncer à ces recherches si celui qui "fait autorité" les désapprouve. Une relation de hiérarchie s'est ainsi instaurée, entre l'un qui utilise "l'argument d'autorité" et l'autre qui s'y plie.


La notion d'autorité est la preuve et le but de la construction d'une société légitime.
Tout d'abord, il convient de préciser que l'autorité n'existe pas dans l'état de nature, ce qui la distingue ainsi du pouvoir (la nature a un pouvoir sur l'homme, la force de l'homme lui donne un pouvoir naturel). Aussi l'existence de l'autorité résulte elle d'une initiative humaine de construction, notamment pour dépasser le pouvoir subi face à la nature ou face aux autres hommes : son établissement coïncide avec l'avènement d'un fait social qui vise à se substituer au fait naturel.
Ensuite, la notion d'autorité ainsi liée à la notion du collectif (la réunion d'individus, ou société) repose dès lors sur le regard d'autrui. D'ailleurs on l'a vu, l'autorité n'a aucun sens pour un homme seul. Celui sur lequel elle s'exerce est en effet le seul légitimement apte à la conférer et à la reconnaître. Là encore, l'autorité se distingue du pouvoir car celui ci peut être pris ("s'emparer du pouvoir") : on ne dit pas "prendre l'autorité" mais "voir son autorité reconnue", ce sens passif suggérant l'importance d'autrui. D'ailleurs pour avoir du pouvoir, nul besoin d'autrui puisque l'argent, par exemple, suffit à l'assurer. L'exemple de la désignation d'un chef de communauté est à cet égard probant. Des civilisations apparaissent quand un leader charismatique ou un chef spirituel en assure la cohésion : ce n'est plus l'homme fort qui impose son pouvoir, mais, par exemple, l'homme sage qui est choisi, élu par la communauté.
Enfin cette construction sociale paraît bien légitime, non seulement parce qu'elle est consentie mais encore parce que l'autorité synthétise un ensemble de règles connues de tous. Pour preuve, par contraposée, le mouvement anarchiste qui, en rejetant toute autorité (religieuse avec le "Ni Dieu…", politique avec le "…ni maître"), refuse en fait de s'inféoder à un système de règles, celles dictées par la foi ou la loi. L'exercice de l'autorité est plutôt du ressort de la responsabilité : celui qui jouit d'une autorité est responsable des règles qu'il édicte à ceux sur lesquels il exerce une autorité. L'autorité parentale semble ainsi être une organisation légitime du noyau familial, non parce que les parents sont plus puissants que l'enfant, mais parce qu'ils en sont responsables (moralement peut-être, juridiquement en tous cas).


Si l'autorité permet de définir un pacte, la légitimité de celui ci peut et doit parfois être remis en question, notamment lorsqu'un déséquilibre surgit entre autorité et pouvoir.
Tout d'abord, l'autorité apparaît avec ou sans pouvoir, puisque celui ci n'est pas le but de l'autorité, mais au plus un moyen. Inversement, le pouvoir peut être un moyen de maintenir l'autorité tout en ne contredisant pas la légitimité de cette autorité. C'est l'exemple du pouvoir autoritaire du Léviathan, défini par Hobbes comme un état fort et consenti qui absorbe toutes les libertés individuelles afin d'assurer une sécurité absolue. Cependant, si l'autorité n'est pas forcément issue d'un pouvoir, elle en fait émaner un. Le pacifiste Gandhi n'avait ainsi aucun pouvoir quand le peuple indien l'a choisi pou guide spirituel, et cette nouvelle autorité lui a conféré un pouvoir indéniable.
Ensuite, il est possible de se passer d'autorité. Le fait qu'on dise "ne pas respecter une autorité" illustre bien la possibilité de ne pas la respecter. C'est un choix. Etant, on l'a vu, une construction humaine, on peut l'abolir totalement et revenir à un état naturel d'absence d'autorité souvent synonyme de désordre. Mais s'il est vrai que l'autorité bride la liberté, ce n'est pas de manière arbitraire. En revanche, on ne peut pas détruire toutes les formes de pouvoir car celui ci peut être issu de la nature même.
Enfin, faut il renverser une autorité voire l'autorité ? Rappelons que l'autorité est la condition nécessaire à la continuité : l'Etat qui jouit d'une certaine autorité se maintient dans la durée, le système scientifique qui "fait autorité" (par ex, le système ptoléméen qui demeura une référence pendant des siècles) permet la poursuite de la recherche scientifique en en édifiant les fondements. Cependant, il existe des abus qui légitiment le renversement de l'autorité. Le pouvoir (au moins moral) que confère l'autorité peut ainsi être détourné de son but premier, à savoir assurer l'autorité : celui qui a de l'autorité devient autoritaire, et la liberté d'autrui est menacée. Abuser de l'autorité qu'on a sur quelqu'un est d'ailleurs un délit puni par la Loi. De plus, il faut savoir renverser une autorité quand celle ci devient obsolète, à moins de la considérer comme un dogme. Copernic et Galilée ont d'autant plus légitimement critiqué le système ptoléméen que ce dernier s'est avéré scientifiquement faux. Le pouvoir du clergé n'a pas permis de maintenir l'autorité de ce système, mais il faut noter que l'autorité du clergé y a survécu.


Il peut paraître légitime de constituer une autorité comme de la renverser. Tout dépend de la capacité de celui qui l'exerce à ne pas la confondre avec un pouvoir personnel et à ne jamais la considérer comme définitive. Si le non respect d'une autorité, ou la désobéissance à une autorité qui l'incarne est parfois une ardente nécessité, comme en ce qui concerne la torture perpétrée par les soldats français en Algérie sur ordre de leur supérieur hiérarchique, il n'en demeure pas moins le plus bel exemple de l'exercice des libertés humaines.