Toute représentation est-elle nécessairement trompeuse ?

Bonnes Copies

Bonne copie du lycée : 63 - Clermont-Ferrand - XXXX

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Commentaire du professeur : Un effort sérieux de travail et de réflexion. Ensemble prometteur


Dans les Métamorphoses, Ovide décrit l'histoire de Pygmalion, un sculpteur qui tombe finalement amoureux de son œuvre, tant la représentation est parfaite (" an sit corpus, an illud ebur ; nec ebur tamen esse fatetur "), ses sens le persuadent même qu'elle est sensible. L'on définit généralement la représentation comme l'action de rendre présent ce qui ne l'est pas, ou alors de remplacer ce qui est absent. Le statut de la représentation est donc difficile à établir puisque si cette dernière est bien réalisée, elle peut ressembler tellement à l'objet représenté que l'on pourrait, comme Pygmalion, les confondre. La tromperie est-elle interne au concept de représentation ? Autrement dit, toute représentation est-elle nécessairement trompeuse ? Dans cette réflexion, nous tenterons de répondre à cette interrogation, mais comme la représentation est un terme trop générique pour être étudié globalement, nous nous demanderons successivement si la tromperie est incluse dans les concepts de représentations politique, puis artistique et enfin dans le domaine de la connaissance.

La représentation politique consiste en l'élection de représentants par le peuple lui-même afin qu'il agisse en son nom. Par ce contrat, les citoyens renoncent à leur souveraineté au profit de ceux qu'ils ont choisis. Aussi l'on peut se demander si la représentation politique est nécessairement trompeuse, c'est-à-dire si la notion de duperie est fondamentalement impliquée dans le concept de représentation politique.
A priori, il semble que la représentation politique soit nécessairement trompeuse puisqu'elle sous-entend la soumission des électeurs au groupe d'individus élus. En effet, le contrat passé entre le représenté et le représentant implique que le peuple choisit son représentant pour ses opinions, ses projets, son programme. Une fois élu, le représentant dispose de tout le pouvoir nécessaire à cet accomplissement alors que le peuple s'en est remis à lui sans forcément connaître parfaitement cet individu, et il doit cependant lui obéir. Il existe donc un risque non négligeable d'abus de pouvoir, ou encore de détournement des objectifs annoncés avant l'élection pour adopter une politique toute autre. Les abus de pouvoir réalisés par les hommes politiques de toutes tendances politiques dans notre histoire montrent que ce risque est bien interne au concept de représentation politique. Aussi Paul Valéry a-t-il écrit : " C'est l'instinct de l'abus de pouvoir qui fait songer si passionnément au pouvoir. Le pouvoir sans l'abus perd le charme. "
Cependant ce premier argument instaure que le risque de tromperie est interne au concept de représentation politique, et non la tromperie elle-même. Considérons désormais la philosophie rousseauiste sur le thème de la représentation politique. Rousseau écrit que cette dernière est toujours trompeuse parce qu'elle fait croire au peuple qu'il a le pouvoir alors qu'il a aliéné sa liberté en élisant ses représentants. En effet, Rousseau considère que les citoyens se débarrassent de leur pouvoir par paresse et cela grâce à l'argent et qu'ainsi l'intérêt général n'est pas préservé, au profit de l'intérêt particulier des dirigeants. Dans une telle philosophie, toute forme de représentation politique est donc trompeuse puisqu'elle donne l'illusion au peuple de conserver sa souveraineté et qu'elle aliène sa liberté alors même que " la souveraineté ne peut être représentée, par la même raison qu'elle ne peut être aliénée (…) la volonté ne se représente point. ". Il semble donc ici que ce ne soit pas l'objet de représentation mais la représentation elle-même qui soit trompeuse, et cela nécessairement, par essence.
Mais cette thèse semble insuffisante puisque l'histoire a démontré que nos systèmes démocratiques occidentaux, souvent considérés comme étant les plus justes et qui sont fondés sur le principe de la représentation politique, sont meilleurs que d'autres (tyrannies…) dans lesquels celui qui détient le pouvoir souverain n'est pas le représentant du peuple. De plus, la séparation des pouvoirs, seule garantie de la démocratie selon Montesquieu, sous-entend le concept de représentation : par exemple, le magistrat doit déléguer ses puissances législative et exécutive de citoyen pour exercer son activité principale.
De plus, si l'on considère la philosophie hobbésienne à propos du représentant souverain, il semble que la représentation politique n'ait rien de trompeuse puisque par un contrat le peuple a accepté de se soumettre totalement au souverain, ce dernier a tous les droits, ses actes sont ceux du peuple puisqu'il l'a choisi. Il n'y a donc ici aucun tromperie : en acceptant ce contrat, le peuple échange son pouvoir de décision contre la paix.
Finalement, au travers de cette première partie, il semble que la représentation politique ne soit pas nécessairement trompeuse même si parfois elle peut l'être (abus de pouvoir…). Cette conclusion suffit à expliquer pourquoi depuis des siècles la société conserve le régime représentatif, puisque s'il était nécessairement trompeur, il n'aurait sans doute pas pu perdurer. Etudions désormais le cas de la représentation artistique afin de déterminer si elle est, ou non, nécessairement trompeuse.

Pour déterminer si la représentation artistique est nécessairement trompeuse, commençons par la diviser en deux catégories : la représentation qui imite les apparences des choses, c'est-à-dire les représentations réalistes, et celles qui cherchent à rendre une manière de percevoir les choses. Dans le premier cas, la représentation cherche à imiter à imiter le réel, à donner au spectateur l'impression d'avoir affaire à la chose représentée et non à sa représentation. Alors il s'agit effectivement de représentations nécessairement trompeuses, d'un simulacre. En effet, comme la théorie platonicienne l'explique, l'artiste est alors un imposteur qui use délibérément d'illusions pour tromper le spectateur. Ainsi Maupassant décrit le réalisme comme : " faire vrai consiste donc à donner l'illusion complète du vrai (…). J'en conclut que les Réalistes devraient plutôt s'appeler des Illusionnistes. "
Cependant la représentation artistique ne se résume pas au réalisme puisque imiter la nature est une tentative vaine : même un tableau réaliste parfait ne remplacerait pas le réel puisqu'il n'est qu'en deux dimensions. L'artiste ne peut d'ailleurs reproduire le monde dans son ensemble, il a des choix à opérer : il ne re-crée pas mais il re-présente en faisant intervenir sa subjectivité propre. En effet, le réel n'est pas directement accessible à l'homme. Pour l'atteindre, il a besoin de la médiation de la représentation.
Lorsque la représentation vise à rendre une manière de percevoir les choses, alors elle n'est qu'un signe et n'abuse personne. Une telle représentation " décrit " les choses telles que nous les percevons, c'est-à-dire sous l'influence de nos conceptions : elle s'éloigne du réel pour se rapprocher de notre perception du réel. Il n'y a alors pas de tromperie puisque l'on reconnaît immédiatement l'objet sans forcément qu'il lui ressemble, il n'y a pas de confusion possible entre la réalité et la représentation. Les peintures médiévales représentant la taille des personnages proportionnellement à leur influence n'abusent personne : le spectateur saisit immédiatement le second degré de compréhension.
L'artiste peut d'ailleurs avouer par lui-même à son public que son œuvre n'est qu'un représentation. C'est notamment le cas du " théâtre dans le théâtre " et plus particulièrement du prologue d'Antigone de Jean Anouilh. " Voilà. Ces personnages vont vous jouer l'histoire d'Antigone. ". Ce genre de représentation ne cherche pas à tromper le public en lui faisant croire en la véracité de l'histoire racontée. De même, on ne peut accuser la représentation d'être nécessairement une trahison par rapport à l'objet représenté puisque, si l'on conserve l'exemple du théâtre : " La représentation tient à l'essence même du théâtre ; l'œuvre dramatique est faite pour être représentée : cette intention la définit. ". (H. Gouthier).
De toute cette réflexion, il apparaît que l'on ne peut qualifier de trompeur le concept de représentation car, même si Stendhal déclare que : " Toute œuvre d'art est un beau mensonge. " , un seul contre-exemple (Antigone…) suffit à infirmer la thèse selon laquelle toute représentation artistique est nécessairement trompeuse. Finalement, la représentation artistique, souvent considérée comme la preuve de la supériorité humaine sur la nature ou au moins comme étant LA spécificité de l'être humain, ne repose pas sur un mensonge : elle n'est pas nécessairement trompeuse. Maintenant que nous avons étudié la représentation artistique, voyons si, dans le domaine de la connaissance, toute représentation est nécessairement trompeuse.

Le monde n'est pas perceptible directement par l'être humain : ce dernier a nécessairement besoin de représentations pour avoir accès au réel, cette médiation (les sens, les représentations mentales…) est indispensable. Se demander si toute représentation est trompeuse revient ici à se demander si toutes les représentations que nous avons du monde sont fausses, qu'elles soient mentales, sensibles, de l'ordre du souvenir… Etudions désormais la représentation dans le domaine de la connaissance.
On ne peut nier que la représentation est source de préjugés puisqu'à l'évocation d'un objet, on se le représente mentalement a priori. Nous pouvons donc occasionnellement nous tromper dans notre pensée et puisque " On ne pense pas sans images " (Aristote), c'est donc que l'image, que la représentation, est trompeuse. De plus, dans le domaine de la connaissance scientifique par exemple, tout n'est pas représentable, et représenter signifie en réalité simplifier, schématiser, ce qui peut être source d'erreurs. C'est notamment le cas de toute représentation d'objet dans un espace de dimension infinie.
Par ailleurs, la représentation est une médiation liée au sujet pensant or ce dernier est incapable d'atteindre l'objectivité totale, aussi toute connaissance vraie du monde semble remise en question, nous ne voyons que les apparences des choses. Cette thèse est développée par Montaigne dans les Essais et pour lequel : " toute connaissance s'achemine en nous par les sens : ce sont nos maîtres. ", et comme notre représentation du monde est incomplète (le réel est infiniment riche et varié) et fausse et que nos sens nous trompent, nous ne pouvons connaître le monde dans son essence, c'est donc que la représentation est trompeuse.
Dans cette partie, nous avons vu les aspects de la représentation qui pourraient nous permettre de la qualifier de nécessairement trompeuse, mais croire qu'elle nous trompe implique que nous méconnaissons le monde qui nous entoure, que nos pensées sont toutes fausses (puisque nous ne pouvons penser sans images). Afin d'éviter de tomber dans le scepticisme, ou pire, dans la folie, essayons de voir si ces arguments peuvent être dépassés.
Nous avons constaté que toute connaissance sans représentation était impossible, et avant d'objecter que la représentation est nécessairement trompeuse, étudions le cas de la connaissance mathématique. Les mathématiques sont considérées comme étant LA science la plus sûre car elle reste théorique et ne fait jamais intervenir l'expérience. Or, sans représentation, plusieurs théorèmes démontrés n'ont plus de sens, en effet, considérons par exemple l'ensemble des nombres dits " complexes ". Cet ensemble regroupe les nombres réels et les nombres imaginaires, qui ne correspondent à rien dans la nature mais qui sont utiles dans la résolution de problèmes concrets. La représentation graphique de ces nombres est donc essentielle à certaines connaissances.
De plus, une représentation peut susciter des interrogations, instruire, au lieu de tromper. Par exemple, les représentations artistiques nous traduisent l'état d'esprit, les valeurs, les centres d'intérêt d'une civilisation donnée. De même, Magritte, dans son tableau intitulé La trahison des images nous prévient contre le danger de confusion entre représentant et représenté. Non seulement cette représentation ne trompe personne, mais elle développe notre réflexion. Dans le domaine du langage ou de la littérature, la représentation n'empêche pas nécessairement d'atteindre la connaissance du réel. Prenons l'exemple du poème de Victor Hugo paru dans les Contemplations et débutant par : … "
" Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne ". Ce poème traduit la douleur de l'auteur suite à la mort de sa fille. Victor Hugo ne cherche pas à " tromper " son public, il est entièrement sincère et la représentation de sa souffrance n'est pas trompeuse. Ainsi, la représentation dans le domaine de la connaissance n'est pas nécessairement trompeuse.


Au travers de cette réflexion, il apparaît que, si au premier abord tout type de représentation semble être nécessairement trompeur, il n'en est rien en réalité puisqu'un seul contre-exemple dans chaque type de représentation suffit à infirmer cette thèse et que plusieurs contre-exemples ont à chaque fois été trouvés. Mais comme il arrive parfois que des représentations nous trompent comme nous l'avons constaté (trompe l'œil…), alors nous ne pouvons nous fier avec certitude à ces représentations ni toutes les rejeter puisque toutes ne sont pas trompeuses. Cependant la tromperie n'est pas forcément négative puisqu'elle peut parfois rendre la représentation meilleure que le réel : elle peut correspondre dans l'art à la création du Beau par exemple… Et toujours dans le domaine artistique, le fait que la représentation artistique diffère du réel nous permet d'inscrire une empreinte humaine qui rend la réalité plus familière et nous incite à voir autrement ce que nous croyons déjà connaître. Aussi Oscar Wilde a-t-il écrit : " La nature imite l'art. "