Le niveau des dépenses publiques constitue-t-il un obstacle à la croissance ?

Bonnes Copies

Bonne copie du lycée : 75 - Paris - Lycée Montaigne

Cette copie a été notée : 18 / 20

Commentaire du professeur : Très bon devoir. Une argumentation très solide, étayée par des connaissances théoriques réelles. Peut-ête aurait-il fallu indiquer des ratios précis (dette/PIB, etc.)pour répondre à l'idée de "niveau".


Untitled Document Les récents événements, qu'il s'agisse des attentats de New York ou de l'explosion de Toulouse, conjugués au retour de la récession mondiale ont donné lieu à un retour en force de la " demande d'Etat " de la part des citoyens du monde. Le sociologue Ulrich Beck n'hésite pas à affirmer que ces événements marquent "la fin du néolibéralisme " et le début d'un retour à un capitalisme plus tempéré. Les récents développements de l'actualité semblent donc montrer que l'Etat est fondé à intervenir quand l'économie et la population sont menacées. C'est donc le problème du niveau des dépenses publiques est soulevé et son rapport à la croissance : peut-on dire que la croissance est menacée par le niveau des dépenses publiques ?
Encore faut-il préciser rapidement ce que sont les dépenses publiques : elles peuvent, schématiquement, être rangées en trois catégories : les dépenses sociales, les dépenses conjoncturelles contracycliques et les dépenses structurelles. Un détail plus fin de ce catégories s'imposera de lui-même ultérieurement. Le niveau des dépenses publiques est donc une approche quantitative, que l'on peut prendre en valeur absolue ou en valeur relative par rapport au PIB du pays. Ce niveau d'intervention de l'Etat dans l'économie est déterminé par au moins deux motifs globaux : garantir la cohésion nationale en organisant une solidarité redistributive et stabiliser la croissance, ou du moins la favoriser.
Le problème naît de la difficulté de concilier les deux objectifs. La crise de financement et d'efficacité de l'Etat-Providence met en évidence, aux yeux des libéraux, le coût exorbitant de la solidarité en terme de croissance qui, selon eux, serait seule à même d'élever le bien-être total de la population. A contrario, les politiques libérales menées au XIXème siècle et depuis les années 1980 impliquent, selon un analyse keynésienne ou interventionniste, un coût social intolérable. La question peut alors se poser ainsi : existe-t-il un niveau et surtout une affectation optimaux des dépenses publiques permettant de concilier croissance et solidarité ?
Dans une première partie, nous tenterons de montrer que les dépenses sociales sont nécessaires à la croissance mais qu'un niveau trop élevé risque de la freiner.
Dans une deuxième partie, nous essaierons de voir que, plus que le niveau des dépenses conjoncturelles contracycliques, ce sont ces dépenses elles-mêmes qui sont contestées comme limitant la croissance.
Dans une troisième partie, nous nous efforcerons de montrer que l'intervention structurelle de l'Etat est de plus en plus plébiscitée pour son rôle décisif sur la croissance à long terme.


Par dépenses sociales, nous entendons dans cette partie exclusivement les dépenses de protection sociale et d'aide aux personnes. Les dépenses d'éducation par exemple seront envisagées ultérieurement. Il convient de rappeler que personne, à part les ultralibéraux libertariens (Salin, David Friedman, …) ne conteste réellement la légitimité de la protection sociale. Le débat porte exclusivement, ou presque, sur le niveau de celle-ci.
Considérons tout d'abord l'émergence historique des systèmes de protection sociale et leurs soutiens théoriques. Si l'on excepte le cas particulier du système bismarckien, créé pour des raisons politiques entre 1883 et 1889, les systèmes de protection sociale naissent à la suite de la crise de 1929.ils sont étayé par les analyses keynésienne et beveridgienne.
Selon Keynes, le but de ces systèmes est de créer une demande effective assez importante pour pallier les effets de la surproduction. Le niveau des dépenses sociales est donc déterminé par le besoin de stabilisation du capitalisme.
L'analyse beveridgienne, appuyée sur celle de Keynes, affirme un objectif social : lutte contre l'indigence dans les pays riches. C'est pour cela qu'il propose un système universaliste de protection, financé par l'impôt.
Le niveau des dépenses de protection sociale doit donc être suffisamment élevé pour que le capitalisme, comme dirait Hobsbawm, survive à ses contradictions internes. Amender le capitalisme est une condition nécessaire à sa pérennité. Le modèle scandinave, caractérisé par un taux élevé de protection sociale, organisée en un système universaliste beveridgien, montre que, quand elle correspond à un pacte social réellement fort, la protection sociale peut atteindre un niveau très élevé sans pour autant nuire à la croissance, bien au contraire.
Toutefois, cette analyse appelle des critiques, émanant notamment des libéraux, qui pointent les dangers d'un niveau trop élevé de protection sociale.
D'une part, l'existence de revenus minimum garantis, d'assurances sociales universelles, … découragerait l'initiative personnelle et désinciterait à travailler. Les libéraux mettent notamment en évidence le phénomène des " trappes à inactivité ", dans lesquelles tomberaient les actifs, constatant que leur rémunération quand ils travaillent est sensiblement identique aux revenus minimum qu'ils percevraient en tant que chômeur. Même si l'existence de ces phénomènes est parfois remise en cause, c'est ce problème qui détermine le niveau des revenus minimum. Ce danger de l'assistanat mettrait en péril la croissance, car l'économie deviendrait, pour une de ses composantes principales, une économie de " rentiers sociaux " et l'esprit d'entreprise et d'initiative, moteur de la croissance, s'affaiblirait. Les USA et la GB ; forts de cette analyse, organisent ainsi le passage du " Welfare " au " Workfare " et critiquent la France, par exemple, pour ses rigidités dues à la protection sociale et affirment que ce sont elles qui sont à l'origine des difficultés de l'économie française.
D'autre part, les libéraux soulignent le problème du financement de la protection sociale qui, s'il passe par un taux élevé de prélèvements obligatoires, risque de désinciter au travail (d'après la courbe de Laffer et l'arbitrage travail-loisir des agents, ainsi que de décourager l'implantation des FMN dans le pays concerné et de freiner les à la fois les IDE et les IDP à destination de ce pays, ce qui déprimerait la croissance nationale par rapport à des pays où la fiscalité est moins forte.
Dans le domaine de la protection sociale, il apparaît donc clairement que le niveau des dépenses publiques doit être assez élevé pour stabiliser la croissance mais pas trop pour ne pas la freiner, si l'on rentre dans la logique libérale.


Considérons à présent les politiques conjoncturelles de façon plus globale, notamment les politiques économique contra-cycliques. Si elles sont préconisées par Keynes pour pallier le coût social élevé de la " destruction créatrice " schumpétérienne, elles sont très fortement critiquées par les libéraux et surtout par la Nouvelle Macroéconomie Classique. Plus que le niveau des dépenses conjoncturelles, ce sont les dépenses elles-mêmes qui sont contestées.
Selon la logique keynésienne, l'Etat est fondé à intervenir dans l'économie car elle est caractérisée par l'instabilité, du fait qu'elle est une " économie monétaire de production ". L'intervention passe donc par les politiques monétaires budgétaire et monétaire - Keynes a une nette préférence pour la première. L'Etat a pour rôle de mener l'économie vers le plein-emploi car la situation la plus courante est l'équilibre de sous-emploi caractérisé par l'existence d'un chômage volontaire. Le niveau d'intervention étatique dans ce domaine n'est pas fixe, il doit s'adapter aux besoins de l'économie à un moment donné. Keynes reconnaît les dangers inflationnistes de la relance qu'il préconise mais, comme " entre deux maux il faut choisir le moindre ", il préfère l'inflation au chômage et refuse de sacrifier la population à la monnaie. Il faut mentionner ici le mécanisme du multiplicateur budgétaire mis en évidence pat Trygve Haavelmo, selon lequel la hausse des dépenses publiques induit une hausse équivalente de la demande effective, ce qui a un effet très positif sur la croissance. Les politiques de " stop and go " menées par les gouvernements britanniques successifs durant les Trente Glorieuses sont de bons exemples d'une intervention étatique réussie. Cependant, depuis 1973, ces politiques de relance n'ont pas fonctionné, quel que soit leur niveau.
C'est pour cette raison que les libéraux ont obtenu une audience grandissante auprès des dirigeants des grands PDEM : leurs analyses sont venues apporter de nouvelles solutions, car elles ne portaient pas sur le niveau de l'intervention étatique, mais sur sa forme et qu'elles en contestaient même la vérité, cautionnant ainsi un état d 'esprit latent des classes aisées et des élites nationales.
C'est Friedman qui, le premier, a contesté dès les années 50, la légitimité théorique de l'intervention étatique : il critiquait bien sûr le coût de ces politiques, c'est-à-dire leur niveau, mais aussi la dérive inflationniste qu'elles engendraient, c'est-à-dire leur coût en terme de croissance. Or, reprenant la courbe de Phillips à son compte, il affirmait que les politiques étatiques n'avaient pour seule conséquence que de l'augmentation de l'inflation, du fait des anticipations adaptatives des agents qui comprennent de mieux en mieux qu'une relance keynésienne ne se solde que par de l'inflation, le chômage restant à son taux naturel, et ce quel que soit le niveau des interventions. L'inflation étant nuisible à la croissance, les interventions étatiques le sont aussi. C'est dans cette logique que Valéry Giscard d'Estaing a voulu, dans les années de son mandat, interdire constitutionnellement le déficit budgétaire.
Mais Friedman n'est pas allé assez loin dans la croyance dans le marché autorégulateur et dans la parfaite rationalité des agents selon les théoriciens de la Nouvelle Macroéconomie Classique (NMC). Eux n'admettent même plus les effets positifs à court terme d'une relance keynésienne que Friedman conservait : ils affirment l'inefficacité totale de ce type de politique c'est le principe d'invariance), condamnée à être de plus en plus coûteuse afin de créer un effet de surprise. Selon cette analyse, le niveau des politiques budgétaires doit être de plus en plus élevé pour obtenir un résultat de plus ne plus faible : elles ne peuvent que brider la croissance car elles créent de l'inflation sans réduire le chômage. L'intervention étatique est nuisible par plusieurs aspects à la croissance nationale : elle crée un effet d'éviction de l'investissement privé par l'investissement public, moins efficace ; l'optimum ne peut être atteint. D'autre part, d'après le théorème d'équivalence de Ricardo-Barro, toute augmentation du déficit budgétaire entraîne de la part des agents une anticipation d'une hausse future inévitable des impôts pour combler le déficit, ce qui fait qu'ils augmentant leur taux d'épargne au détriment de l'investissement et de la consommation, ce qui nuit directement à la croissance.
C'est dans cette optique que Bush pratique les excédents budgétaires et préfère le multiplicateur fiscal au multiplicateur budgétaire.


Le niveau de l'intervention conjoncturelle de l'Etat est donc très débattu et son impact sur la croissance n'est pas évident à déterminer. S'il faut peut-être accorder du crédit aux critiques libérales, il faut reconnaître que leurs hypothèses irréalistes (anticipations rationnelles, information parfaite,…) et le coût social démesuré de leurs préconisations permettent d'affirmer que la croissance reste tout à fait compatible avec l'intervention étatique conjoncturelle.
S'il est un domaine où, a contrario, le consensus se fait, c'est bien celui de l'intervention structurelle de l'Etat. Tous les courants, ou presque, admettent sa légitimité et les nouvelles théories de la croissance endogène en font l'apologie.
Depuis Smith, et même avant, on pense que l'Etat doit prendre en charge certaines réalisations qu'aucun agent privé n'a intérêt à financer, comme par exemple un phare ou l'éclairage d'une rue. L'histoire économique est décisive à ce point de vue : l'intervention de l'Etat est déterminante dans la croissance. L'Etat, historiquement, a eu la charge de mettre en place des institutions favorables à la croissance. C'est tout le sens du courant institutionnaliste et notamment de la cliométrie de North et Fogel, selon laquelle l'établissement par l'Etat d'un régime des droits de propriété a été décisif dans les débuts de la croissance capitaliste. Gerschenkron, dans Economic Backwardness in Historical Perspective, met en évidence le rôle déterminant de l'intervention étatique dans le processus de la croissance économique au XIXème siècle. La différence d'attitude des Etats expliquerait même les divergences entre les économies. Par exemple, l'unification politique tardive de l'Allemagne et de l'Italie a été compensée par le rôle intense joué par l'Etat dans le processus d'industrialisation, rôle qui a été beaucoup plus important que celui de l'Etat britannique par exemple. Le cas japonais est à cet égard également significatif.
Il apparaît donc que l'Etat, dans un rôle de " substitut d'industrialisation " et d'autorité instituante, a joué un rôle décisif aux origines de la croissance moderne. Le lien entre croissance et niveau d'intervention était clair : plus l'Etat intervenait, plus forte était la croissance. On a observé les mêmes phénomènes au XXème siècle, dans les NPI asiatiques notamment.
Durant les vingt dernières années, une nouvelle approche du phénomène de la croissance est apparue : la croissance endogène. Dans ces analyses, la place de l'Etat est primordiale et son niveau d'intervention élevé. L'Etat doit intervenir pour créer un maximum d'externalités positives qui, augmentant uniformément la richesse de tous les agents, permettront des rendements d'échelle croissances, qui sont à la base de la croissance.
Romer (1986) préconise l'intervention de l'Etat au travers de la création d'infrastructures ; Barro insiste lui sur l'importance de la recherche fondamentale que l'Etat doit encourager et mettre à la disposition des agents économiques ;Lucas met quant à lui l'accent sur l'accumulation du capital humain au travers, notamment, des dépenses d'éducation et de formation professionnelle. L'Etat doit concentrer son intervention dans ce domaine, au niveau le plus élevé possible, afin de rendre la croissance potentielle la plus forte possible ? Selon cette approche, le niveau des dépenses publiques structurelles est donc corrélé très positivement à la croissance à long terme. Dans la même optique, il convient d'évoquer le concept d'" attractivité territoriale ", qui prend de plus en plus d'importance en raison du processus de mondialisation. Les Etats doivent mener de fortes politiques structurelles (aménagement du territoire, abattements fiscaux, …) afin de lutter contre le dumping social, fiscal, …impliqué par la mise en concurrence des "sites" nationaux à l'échelle mondiale. De même, l'intervention étatique contre le chômage doit se concentrer sur la suppression des rigidités structurelles du marché du travail, condition, à terme, d'une croissance soutenue et du retour au plein-emploi.


Le niveau des dépenses publiques a donc un impact très différent sur la croissance suivant le type de dépenses considéré et suivant leur affectation. Un niveau de protection social minimal semble indispensable à une croissance durable et soutenable socialement. Le niveau optimal des dépenses contracycliques est très difficile à trouver entre les tenants d'un interventionnisme maximal et les extrémistes libéraux.
L'avenir semble donc être aujourd'hui à l'intervention structurelle au maximum, afin d'optimiser les caractéristiques nationales et de créer des externalités positives. La croissance ne saurait se passer de l'intervention étatique. Le niveau optimal de celle-ci semble être la quadrature du cercle, d'autant plus que doivent être prises en compte les spécificités nationales.
Comme d'habitude en économie, la réponse semble être un entre-deux, un compromis, ici entre coût social et croissance. Cette fatalité du compromis renvoie bien sûr à la complexité du réel et à la nature de l'économie : loin d'être la science exacte qu'on veut parfois nous présenter, elle est une science éminemment sociale et, dans ce cas précis, sa nature politique apparaît très clairement, ce qui explique les prises de position quasi-idéologiques de nombre d'économistes.